On a retrouvé le paradis perdu.
Et on l'a laissé là où il était.
Après cent cinquante mille ans d'abandon, il était en plus mauvais état que notre monde à nous.
Adrian von Zögarn, Maximes pour mon petit-fils Maxime, ou de la philosophie pour les enfants
Au terme de leur phase d'approche, le vaisseau d'Ignatius ne se trouvait plus qu'à deux kilomètres d'eux. Segonde aida Barfol à se vêtir d'une surcombinaison pressurisée qui ressemblait à un sac plastique noir, puis le poussa dans l'ancien tube de lancement de fusées qu'ils avaient reconverti en sas de sortie.
Dans l'espace, tandis que l'on dérive en apesanteur, le temps n'existe pas, seulement le présent. Ce peut être l'occasion de se retourner vers soi-même, de contempler l'intérieur de son âme tel le voyageur qui, n'ayant jamais atteint le bout du monde, décide de revenir sur ses pas. Barfol, pour sa part, contemplait surtout la faible marge de manœuvre qui pouvait lui permettre de sortir vivant de ce système inhabité.
Il se trouvait ici en périphérie du système, loin de son foyer central, dans l'ombre sinistre d'une géante gazeuse. Il n'avait donc rien à craindre des rayonnements de ce phare lointain. Il régnait, en revanche, une température proche du zéro absolu. Mais qu'est-ce que la température ? Il ne s'agit que d'une mesure de l'agitation thermique des molécules, or ce n'était pas une poignée d'atomes d'hydrogène esseulés qui se jetterait sur Barfol pour lui voler sa chaleur ; donc, malgré ce froid abyssal, il se portait comme un charme et ne s'était pas encore changé en glaçon. Seule la pression était importante, qui empêchait son sang de bouillir et ses poumons d'éclater.
Le vaisseau d'Ignatius était une ombre sur une ombre, indécelable à l'œil nu, hormis l'arête de son étrave et celle de sa carène, qui formaient un angle droit intimidant. Ignatius avait la réputation d'un guerrier impitoyable, qui écrasait ses adversaires comme les trirèmes grecques.
Au bout d'un moment, Barfol se cogna contre le métal ; sa combinaison gonflée le fit rebondir, puis des scaphandriers, eux aussi cachés dans l'ombre, l'attrapèrent et l'emmenèrent dans un tunnel qui traversait la coque. Ils portaient des combinaisons lourdes, renforcées, pourvues de longues antennes en métal tressé, qui les faisaient ressembler à des scorpions d'eau.
Des portes blindées se fermèrent derrière eux ; la gravité cloua leurs pieds au sol. La pression extérieure revint et le petit groupe attendit en cercle que Barfol se défît de son sac poubelle. Une femme d'une cinquantaine d'années ouvrit la vitre fumée de son casque et déclara sur un ton péremptoire, qui ressemblait plus à un ordre qu'une question :
« Vous êtes le capitaine Barfol ?
— C'est bien moi, dit Barfol en essayant d'extirper sa botte droite du plastique, car seul son pied avait réussi à s'en libérer.
— Ignatius vous attend. »
Une porte s'ouvrit ; Barfol remit sa botte tout en suivant le groupe de gardes à cloche-pied. Ils entraient dans l'intérieur du Paradis Perdu.
Durant toute sa carrière d'aventurier de l'Omnimonde, Barfol s'était déjà perdu une dizaine de fois dans ce dédale de couloirs mal éclairés, où régnait l'atmosphère enfumée d'un lendemain de fête. La mégastructure du vaisseau, son architecture de poutrelles de titane et de cloisons en céramique, avait beau être fixe, l'intérieur du Paradis changeait constamment de forme, en fonction des envies du moment, des lubies d'Ignatius ou de ces pantins qu'il nommait ses lieutenants.
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Nolim IV : La Cité de cristal
Fantasía-- Quatrième livre dans la série Nolim -- Cent cinquante mille ans avant notre ère. Le tyran Ozymandias a décidé de bâtir un empire éternel, dont il serait le guide et le souverain. Mais aussi puissant fût-il, Ozymandias est mortel. Guidé par les v...