Volé

Lise : Chapitre 6

Je m'arrête de respirer pendant deux secondes. J'essaye de tourner cette phrase dans tous les sens, de trouver une autre signification mais je n'y arrive pas. 

"J'étais amoureux de toi."

- Ça ne change rien, tout a été fait. Maintenant il y a Clarisse. Vous allez vous marier et moi...

Je ne sais pas comment continuer la phrase. Je ne sais pas quoi ajouter. Parce qu'au fond je vais devenir quoi ? Je resterais sûrement amoureuse de lui pendant quelque temps, peut-être toujours. Jamais je n'arriverais à retrouver quelqu'un qui me fasse autant vibrer, quelqu'un qui me donne autant envie de vivre, de rire, sourire, chanter et danser.

- Tu te sens comment ?

À n'importe quelle autre personne j'aurais dit que ça allait plus ou moins. Mais avec Danny on s'est toujours répondu la vérité à cette question. Car elle n'a plus aucun sens, la seule réponse que l'on entend, aujourd'hui, c'est "ça va". Sauf que ce n'est pas souvent la vérité. À chaque fois, avec Dan, on se dit si on est triste, fatigué, si on a le spleen, si on est en mode déprime ou même si on est joyeux, si on pète la forme ou si juste ça va. Car nos "ça va" sont tous réels, ça va, ni plus ni moins.

- Honteuse, comme une loque. J'ai mal, ma poitrine me comprime, mon ventre se tord sur lui-même. Et je m'en veux tellement.

- Arrête de culpabiliser. On a eu le choix. On a décidé de s'occuper de toi, sur ça c'est uniquement de notre faute. On aurait pu terminer le mariage mais on a pris une autre décision. On doit s'en prendre qu'à nous même. Et je ne regrette rien.

- Je ne comprends pas. Comment vous pouvez être aussi tolérants ?

- Parce qu'on t'adore. T'aurais voulu qu'on te crie dessus mais la vérité est que ça n'aurait rien changé. La personne la plus malheureuse ici ce n'est pas nous. On aurait été égoïstes de te laisser seule.

Moi aussi je les adore. Enfin, c'est à se demander si c'est vrai vu que j'ai foutu leur journée en l'air.

- C'était surtout égoïste de partir à cause de mes sentiments.

- Tu comptais me le dire un jour ?

- Jamais. Peut-être qu'à ma mort t'aurais trouvé une lettre expliquant tous mes sentiments pour toi. Mais pas avant. Pourquoi vous n'avez pas continué le mariage après avoir su ce qu'il s'était passé ?

- Je n'aurais pas voulu faire mon mariage sans toi à mes côtés. Sans que tu sois là. Quand je t'ai demandé si tu étais disponible pour aujourd'hui j'allais décaler si ce n'était pas le cas.

- Il ne fallait pas.

- Mais c'était ce que je voulais. Ta présence m'importe, Lise.

Il s'arrête et prend un autre verre d'eau qu'il remplit, ainsi que le mien. J'engloutis le verre d'une traite. J'ai besoin de me désaltérer après toutes les larmes qui sont sorties de mon corps.

- Quand tu me disais que tu ne voulais pas de relation stable, c'était car tu ne pouvais pas en avoir à cause de moi ?

Ça sonne plus comme une affirmation qu'une question mais je lui réponds tout de même positivement. Je n'avais que des plans d'un soir, je ne suis pas fière mais c'est la seule solution que j'ai trouvée pour avoir un vie "amoureuse", ou plutôt sexuelle, remplie. Un petit silence s'installe, c'est agréable. Mais la voix grave de Dan revient le casser.

- Tu veux quoi maintenant ?, me demande-t-il.

- Je veux partir d'ici, retrouver Yuzu, que vous continuez le mariage et que...

- Non, me coupe-t-il. La question exacte est qu'est-ce que tu voudrais maintenant si tu pouvais tout avoir, si tu contrôlais tout ?

J'ai la réponse, déjà toute faite, mais je ne peux pas répondre quelque chose comme ça. Alors je me contente de le fixer en espérant qu'il réussisse à lire dans mes pensées comme il le fait si bien d'habitude.

- Ta réponse, quoi qu'elle dise, je veux l'entendre. J'ai besoin de l'entendre.

Alors je prends une inspiration et me lance.

- Là maintenant, si je pouvais avoir tout ce que je veux ? Je voudrais que tu m'aimes autant que je t'aime. Que cet après-midi ce soit en fait notre mariage, peut-être vers quatre heures. Que ce soit le meilleur jour de ma vie. Qu'on ait une grande maison avec Yuzu et même un ou deux autres chiens, un s'appellerait Kabosu et l'autre Nashi. Et on aurait même des beaux enfants, peu importe le nombre. Je t'emmènerais découvrir la Norvège, et si tu le voudrais bien je t'apprendrais même la langue, on verrait des aurores boréales ensemble, on observerait les étoiles. Et dans notre maison il y aurait un mur entier de photos de ce voyage, même ces voyages car on y irait plusieurs fois. Je voudrais qu'on soit meilleurs amis, meilleurs ennemis et mariés.

Il hoche la tête, bouche bée. Ce que je viens de lui confier le laisse sans voix, il me regarde juste droit dans les yeux. Ne supportant pas ça je détourne le regard.

- Mais honnêtement, ça ne se réalisera pas. Alors dans la limite de ce que je peux rendre concret, il faut que je parte. Je veux partir.

Il est toujours silencieux, il ne pensait pas que je dirais tout ça. Je me lève et pars, je tourne les clefs dans la porte l'ouvre. Danny s'est juste levé et me fixe, le regard plus peiné que jamais. Il n'a toujours pas parlé. Je le regarde un dernière fois.

- Je t'aime, je lui annonce.

C'était une promesse, je lâche une unique larme que je ne prends pas la peine d'essuyer elle est importante d'une certaine façon.

Alors que je m'apprête à refermer la porte derrière moi j'entends Clarisse me crier d'attendre. Au point où j'en suis je me retourne vers elle.

- Tu pars ? Vraiment ?

- Je le dois.

- Tu veux pas qu'on t'emmène quelque part en voiture au moins ?

Je la gratifie d'un sourire, je suis touchée de sa gentillesse.

- J'ai besoin de marcher. Je dois faire le point dans ma tête. Je vais marcher vers la mairie, c'est qu'à dix minutes. Après je reprendrai mon chemin de tout à l'heure, j'appellerai un taxi quand je serai prête.

- Et s'il t'arrive quelque chose ?

- S'il m'arrive quelque chose ma sœur le saura car je ne lui aurai pas donné de nouvelles avant demain.

- Promets nous de rester dans notre vie.

Si c'est trop douloureux je devrai les quitter. Ne plus jamais entendre parler d'eux. Ça sera mieux pour tous de toutes façons.

- Je ne peux rien promettre.

Je ferme la porte les saluant une dernière fois. Dan n'a rien dit, pas un seul mot. Je n'ai même pas pu entendre sa voix une dernière fois. Je marche vers la mairie, j'ai remis mes talons et j'ai mal aux pieds mais je n'y fais même plus attention car une douleur bien plus grande a rempli mon corps et mon cœur.