PLAIES #1

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                          N A B I L

LES TARTERETS (CORBEIL-ESSONES) — 28 SEPTEMBRE 1995

16 : 05

POINT DE VUE EXTERNE        

Fatima aimait ses enfants, elle les aimait du plus profond de son cœur, ses deux fils étaient sa fierté. Ils étaient tous les deux très bien élevés, ils ne se faisaient pas remarquer à l'école, et savaient rester calme. Elle avait conscience d'être chanceuse, et d'attiser l'envie chez le peu d'amis qu'elle avait dans la cité. Son mari était un amour, il l'aimait beaucoup et cédait à toutes ses envies. Elle l'aimait aussi énormément, elle l'avait attendu six ans alors qu'il avait été incarcéré, elle lui avait fait deux beaux enfants alors qu'elle ne se voyait pas mère. Sa vie lui convenait à peu près.  Pourtant, elle avait le mal du pays, l'Algérie, qu'elle avait quitté au début des années 80 lui manquait, ses parents, ses amis, et sa vie d'avant, elle regrettait tout ça. Elle avait tout quitté pour un homme, elle qui s'était vue avocate, s'était retrouvée femme au foyer. Elle qui avait toujours rêvée de luxe et d'opulence, vivait dans un quatre pièces en banlieue. Elle ne méritait pas ça, elle ne méritait pas cette vie.

Elle aimait ses enfants, Tarik était un gamin aimant, et Nabil du haut de ses six ans, un véritable fils à maman, il était toujours après elle, il l'aimait beaucoup, la couvrait de câlins, et faisait des crises à chaque fois qu'elle le quittait au matin, alors qu'il devait aller à l'école. Pourtant elle ne voulait plus vivre avec eux, elle ne voulait plus vivre en fonction de ses enfants. Se priver de vivre pour eux. Elle en avait marre, elle ne voulait vivre que pour elle. Son cœur ne se remplissait plus d'amour lorsqu'elle les voyait ensemble, ou qu'ils lui offraient des cadeaux. Elle n'éprouvait que des regrets. 

On dirait surement d'elle qu'elle est égoïste, mais elle avait sacrifié une grande partie de ses jeunes années pour une homme, puis pour deux bambins dont elle n'avait pas voulu. Elle en devenait détestable, distante, et René ne cessait de demander si quelque chose n'allait pas. Ah, s'il savait.

Alors elle s'était décidée à s'en aller, les laisser et aller vivre sa vie. Donc, au matin elle avait préparé ses enfants pour l'école, avait déjeuner avec eux, les avait embrassés sur le front, puis embrassé son mari, avant de fermer la porte derrière eux.  Elle avait apprécié les derniers moments de sa vie de famille, avait observé ses garçons afin de mémoriser chacun des traits de leurs visage, elle ne voulait pas vraiment les oublier, c'est juste qu'elle ne les voulait plus dans sa vie.

Fatima avait vidé chacun des placards de ses affaires, elle avait tout rangé dans des sacs, ne laissant rien derrière elle.  C'est un ami de longue date qui était venu l'aider, il avait descendu chacun des cabas qu'elle avait rempli à la hâte, et c'est ce même ami qui devrait la déposer à l'aéroport afin qu'elle rejoigne l'Algérie. Elle avait jeté un dernier coup d'œil à la chambre de ses enfants, s'était emparé du doudou de son plus jeune fils, et d'un des maillots de foot du plus âgé afin de les fourrer dans son sac à main. Puis avait déposé une lettre écrite à la hâte sur un brouillon, sa paire de clé, et son alliance sur le lit qu'elle partageait avec René.

Fatima avait fait un choix, et elle ne reviendrait pas dessus.

LES TARTERETS (CORBEIL-ESSONES) — 28 SEPTEMBRE 1995

16 : 45

Les journées de René étaient longues et éprouvantes, gérer des jeunes n'était pas mince affaire, il supportait son travail dans le seul et unique but de subvenir aux besoins de ses enfants. Après avoir récupéré ses petits, il les avait emmenés chez un fleuriste afin qu'ils l'aident à trouver de jolies fleurs pour leur mère. Sa femme n'était pas au top de sa forme ses derniers temps, il faut dire qu'il était tellement crevé par ses journées de travail qu'il ne faisait pas grand-chose lorsqu'il en rentrait. Elle avait énormément de choses à gérer. Tellement de choses à faire, qu'elle en devenait assez froide et distante. Alors il s'était dit qu'il laisserait les petits chez sa mère, qu'elle pourrait s'apprêter, et qu'il la laisserait choisir n'importe quel restaurant parisien afin qu'ils puissent discuter, remettre leur pendule à l'heure et repartir sur de bonne base. Il aimait sa femme, ils avaient eu un véritable coup de foudre et elle avait fait beaucoup de concessions pour lui. Elle méritait amplement une soirée un peu au-dessus de leurs moyens.

LES PLAIES | V O L #1 | N.O.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant