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Restaurant Cal Sogre (LLORET DE MAR – ESP) – 7 AOUT 2008

20 : 35

MELHA HADDAD

Lorsque nous sommes arrivés à Lloret, il y a un peu plus d'un an, Bahya était une coquille vide. Si elle avait d'abord été heureuse de fuir sa mère, et de pouvoir mener sa vie comme elle l'entendait, elle n'en restait pas moins détruite de l'intérieur. Tout le temps qu'elle n'eût pas passé au travail, elle l'avait gaspillé à se morfondre sur son sort, à chouiner, à se torturer de questions. Ça avait été les moments les plus dures de notre nouvelle vie. Elle avait beaucoup culpabilisé d'avoir les laissé Karim et les petites derrière elle, elle avait aussi eu très peur que sa mère la retrouve. Pendant des mois, elle s'était plongée dans le travail, et avait refusé toutes autres distractions, elle s'était à peine alimentée, et je l'avais vue fondre à vue d'œil. J'avais été témoin d'horribles crises d'angoisses, de soirées entières où elle s'était goinfrée de conneries, pour se faire vomir ensuite. D'autres soirées où elle s'enfumait à en devenir aussi active qu'un légume. Ou d'autres fois où elle s'enfermait des heures dans la salle de bain pour en ressortir les cuisses et les bras meurtris par les coups de lames qu'elle s'était infligée. Elle avait eu du mal à se libérer de l'emprise qu'avait eu Zahya sur elle, elle ne voulait pas sortir, s'amuser.

Il faut dire qu'elle avait été bridée par une éducation très stricte et qu'elle avait été rongée par toutes les misères qu'elle avait pu lui faire. Et dieu seul sait qu'elle lui en avait fait voir de toutes les couleurs, petit à petit j'avais vu mon amie d'enfance s'enfoncer dans la dépression, et tout ce que j'avais pu faire avait été de l'emmener loin de sa maman, la soutenir et la supporter, pour le reste j'étais impuissante.

Ce n'est que quatre mois après notre emménagement qu'elle avait eu le déclic, lorsque dépassée par la situation, j'avais supplié Karim de venir nous voir. Il avait eu les mots justes, et à la suite de la semaine qu'il avait passé avec nous j'avais totalement redécouvert mon amie. Elle avait commencé à me suivre dans toutes mes soirées, toutes mes sorties, et à se faire quelques connaissances. Petit à petit, elle avait pris goût à toutes les choses qu'elle avait refusé de faire, et notre vie a totalement changée.

Elle était devenue une autre personne, souriante, pleine de vie et enjouée, même si les périodes de down étaient toujours présentes.

Ces derniers jours elle m'avait énormément surprise, elle s'était liée d'amitié avec ces garçons, ceux que je lui avais présenté. Je les avais croisés plusieurs fois dans la semaine, au bar de l'hôtel où nous travaillions, et Zazou avait de nombreuses fois essayé de me dragouiller, je n'avais cédé que la veille au soir. J'avais été heureuse de la voir se fendre la poire avec Nader durant la soirée, et encore plus de la voir se rapprocher de ce garçon, de Nabil. Elle était trop pudique pour en parler, mais je la connaissais assez pour savoir qu'il lui plaisait. Puis je n'avais pas été la seule à les voir se rouler de grosses pelles cette après-midi.

Elle avait déjà fréquenté des garçons, je l'avais vu se réconforter dans les bras d'un garçon qu'elle avait rencontré lors de ses vacances annuelles en Algérie, puis, une fois ici, dans ceux de garçons qu'elle croisait au hasard des soirées que nous passions. Pourtant, elle n'avait jamais été aussi souriante et détendue avec l'un d'eux.

Après notre après-midi à la plage nous sommes rentrés en vitesse afin de nous changer. Les garçons nous ont proposés de passer la soirée avec eux, et nous avons accepté, à condition  que nous puissions choisir le restaurant où nous allions diner avant de rejoindre la boite de nuit.

Nous sommes tous attablés autour de deux tables que nous avions collées l'une à l'autre, le serveur avait grimacé à la vue de notre joyeuse bande, nous sommes en nombres, et ce n'est pas le genre de restaurant que les jeunes touristes fréquentent généralement. Je suis installée entre Zazou et Macha, tandis que Bahya est à l'autre bout de la table, entre Nader et Nabil, elle est scotchée aux lèvres de Tarik qui lui fait face. Elle a troqué ses habituels T-shirt larges, contre un débardeur noir, et un short en jean. Là aussi je me rends compte qu'elle a fait un énorme effort, elle n'aime généralement pas lorsqu'on voit ses formes généreuses, elle n'est pas très à l'aise avec son corps. Elle a attaché ses cheveux en une queue haute, et de souligné son regard d'un trait de liner. Elle est resplendissante. Mon cœur se réchauffe de la voir ainsi.

LES PLAIES | V O L #1 | N.O.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant