Minouche contre Goliath, par Hubert Vittoz

197 3 0
                                    

« Minouche contre Goliath », par Hubert Vittoz

Le ciel blanchissait lentement sous l’éveil paresseux du soleil. Dissimulé dans son fourré, Hubert, dit Hubby, bâilla un grand coup, fatigué par sa longue nuit de veille. En dépit de la toile cirée dans laquelle il s’était enveloppé, il était transi par la rosée. Il se frictionna vigoureusement les mains, les passa dans la fourrure humide de sa marmotte de compagnie. L’exaspération d’avoir veillé pour rien s’ajouta à son inconfort. Le corps de ferme restait désespérément silencieux, morne. Le Walrus Institute s’était-il moqué de lui ? Avait-il eu la patience de dénicher et d’apprivoiser Minouche pour rien ?

Soudain retentit un diabolique cocorico ! qui le fit sursauter. Aussitôt, ses yeux scrutèrent les bâtiments, encaissés dans une vallée confidentielle : la longère aux vieilles pierres muettes, la grange au toit de tôle qui vomissait une ombre inamicale, le poulailler d’où, peut-être, avait jailli le cri de la sinistre créature… Nul fermier pour aller nourrir les bêtes, nul chien pour aller calmer ce qui n’était pas un coq – ou pour trahir la présence d’Hubby. L’heure n’était plus aux tergiversations.

Il vérifia une dernière fois le contenu de son sac à dos. Sa fronde modèle Goliath était bien là, à côté de la poche où reposaient miroir et lampe-torche. Les sachets de graines s’entassaient au fond, en compagnie des élastiques et du couteau de boucher. Et puis, bien sûr, il y avait son arme fatale qui piaffait au bout de sa laisse : Minouche, sa marmotte de compagnie, dressée pour tuer. Il se permit un petit sourire confiant, avant de reprendre son sérieux.

Il descendit le versant de la vallée, prenant bien soin de rester sous le couvert des arbres en dépit de l’immobilité apparente de la ferme. De l’autre côté, la colline se faisait plus rocheuse, creusée de trous et de grottes obscures. Inhospitalière. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait, de sinistres sons le faisaient frissonner – gémissement du vent dans les trous de la grange, volets claquant doucement, grincements de la grille qui environnait la propriété… Il préféra mettre lesdits frissons sur le compte du froid : après tout, l’hiver frappait à la porte et Minouche le ressentait bien trop. Il n’avait pas de temps à perdre.

Il atteignit enfin le corps de ferme. Sa main nue passa sur les pierres froides, grises comme autant de tombes. Peut-être était-ce le mausolée de ces pauvres exploitants, qui avaient dû subir l’ire de la créature. Il plaqua son oreille contre le mur, sans rien entendre ; osa un coup d’œil entre les volets entrouverts. À l’intérieur, la cheminée dormait depuis longtemps et à ses cendres se mêlait une couche épaisse de poussière qui envahissait le moindre bibelot. Un verre était posé sur une table, mais était-il plein ou non, Hubby ne put le décider du fait de la pénombre. Un sentiment d’angoisse le saisit brusquement à la vue de cette maison morte, victime d’une horreur dont il n’était pas certain de pouvoir triompher. Il se força à ralentir sa respiration, puisa du réconfort dans la présence chaleureuse de Minouche et du courage en se remémorant le briefing d’Heller Corwyn, dans le laboratoire du Walrus Institute.

« J’ai une mission pour toi, jeune fat, avait commencé le cyborg en trifouillant dans les tripes d’un hybride de singe et calamar. Il est temps de faire tes preuves. Une vague d’abominations menace le monde. »

— Le monde !

— Mais ce n’est pas le pire, continua-t-il en branchant un tuyau dans la cervelle de la chose. Cette invasion va jusqu’à menacer l’imagination même !

—     Mais comment est-ce possible ?

—  C’est bien simple, gamin. L’apparition de ces créatures fige leur représentation et bride l’imagination du poète. Combien de versions existe-t-il du Grand Cthulhu et de Sa fratrie ? Combien de versions en resterait-il s’Il se manifestait ?

Walrus Institute 2: Monsters !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant