Le Rouge, par Nicolas Cartelet
C’était au large du Nigéria. Nous étions le matin, et les embruns me frappaient le visage jusque sur le pont ; mais pourtant j’avais chaud. Je souffrais d’une chaleurpénétrante, voyez-vous, d’une chaleur moite. Je souffrais d’une chaleur mystique, aussi, qui me retournait l’esprit et les sens, car je savais que j’allais au-devant du mal. Je savais que j’allais au-devant de la mort.
À bien y réfléchir, je ne suis pas certain que c’était au Nigéria. Peut-être bien que c’était le Kenya. Difficile à dire. C’était l’Afrique, quoi.
Debout sur la proue, je serrais fort ma bible contre mon cœur. Mon œil se perdait dans la contemplation du littoral, si sauvage, si inquiétant, avec ses herbes folles grillées par le soleil et ses enfants, presque nus, baignés dans l’insouciance des criques.
Des enfants adorables, vraiment. Hélas, parfaitement inconscients du danger qu’ils couraient.
« Quel âge ont-ils, ces pauvres gosses ? murmurai-je entre mes dents. Deux, trois peut-être, cinq ans, tout au plus… Comment ont-ils survécu aussi longtemps dans l’ignorance ? »
C’était pour moi une question insoluble. Chaque fois que je quittais mon cher pays, j’étais frappé de voir combien les peuples se satisfaisaient de leur vie misérable, loin de toute liberté, loin de toute démocratie. Loin de toute vérité, en somme.
Chaque fois, néanmoins, une petite étincelle d’espoir me ramenait parmi les bienheureux. Oui, comme je les observais, ces braves petits Africains, je savais qu’il leur restait de l’espoir.
Cet espoir, c’était moi. Moi et ma bible.
« Maître Nikola ! Regardez à l’est ! C’est, je veux dire… Wow ! C’est… »
Effrayant. C’est ce qu’avait voulu dire Timour, ce bon pêcheur qui guidait mes pas depuis mon arrivée en Afrique. Et il avait raison, Timour. Ce qu’il pointait d’un doigt tremblant l’était assurément, effrayant. Moi-même, et malgré la foi inébranlable qui m’habitait, je ne pus refréner le frisson qui parcourut mon dos, de haut en bas.
« J’ai vu, Timour. Sûrement un cadeau de bienvenue. Au moins, je saurai où me diriger une fois débarqué sur la côte… »
Il était là, gigantesque et informe, monstre brumeux fermant l’horizon. Au-delà du littoral, des enfants et des broussailles, un épais nuage rouge et noir occupait le ciel. Noir, il l’était par la cendre ; rouge, il brillait par le soufre et la flamme.
La savane était en feu.
« Alors c’était vrai ! que je lançai à voix basse, à moitié pour moi-même. C’est bien ici que la bête a échoué… »
Mon jeune ami hocha la tête. « Oui, et toute la région brûle depuis des mois. Les enfants meurent, les parents sont réduits en esclavage… Le monstre a tué le pays. »
Il fit un pas en avant et me saisit le bras, comme pour me retenir. Son visage était grave. « Vous n’êtes pas obligé d’y aller, Nikola… Vous n’êtes pas obligé de porter la souffrance du monde. Il n’y a que la mort, là-bas !
— Je le sais bien, répliquai-je d’une voix douce. Mais si je ne le fais pas, qui le fera ? Ils m’ont envoyé parce que je suis le meilleur, et seul le meilleur pourra contrecarrer sesplans. Je n’ai pas le choix, Timour, cette tâche est plus grande que nous. Plus grande que nos vies. »
Le bon petit pêcheur resta un moment silencieux. Moi, je fermai les yeux et récitai quelques versets du Tout Nouveau Testament pour me donner du courage.
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Walrus Institute 2: Monsters !
УжасыLe Walrus Institute est un lieu aussi redouté que mystérieux : école d'écriture le jour, atelier démoniaque le soir, prison pour auteurs la nuit, personne n'en franchit les portes sans avoir une bonne raison de le faire. Dirigé d'une main de fer (au...