Les chèvres, les femmes et moi, par Michael Roch

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Les chèvres, les femmes et moi…

La lettre stipulait de prendre le dernier bus de la ligne 33, celui de 23 h 27. Les quelques paragraphes tapés à la machine précisaient d’emmener avec soi une canne de fer creuse et de faire connaissance avec la population locale une fois arrivé au terminus, sans autre précision sur la mission à effectuer.  Le car menait hors de la ville, sur les chemins boueux d’une province oubliée, et puisque je désirais faire bonne figure afin de rester parmi les pensionnaires de l’Institut Walrus, j’avais donc obtempéré et dormi toute la nuit coincé entre deux sièges rembourrés, mais usés.

Le conducteur me réveilla lorsque nous arrivâmes au village de Bagnuls. Le soleil, déjà haut dans le ciel bleu sournois, indiquait que la journée était bien avancée. Je fus pourtant surpris par l’atmosphère de cette bourgade de Provence : il faisait froid. Pour connaître l’heure exacte, j’eus un réflexe bien urbain et jetai un regard en direction du sommet de l’église. Il n’y avait pas d’horloge au clocher et aucun bourdon n’en habitait la voûte. Je demandai donc à mon chauffeur, mais il me poussa dehors prétextant qu’il devait retourner sur la capitale avant la nuit et qu’il ne s’attarderait pas dans ce qu’il nomma « le trou du cul du diable ». J’en eus pour mon grade et me retrouvai sur le parvis de la mairie avec une valisette d’affaires, mon cache-poussière sous le bras et, dans l’autre main, la canne de fer creuse. Des nuages gris mauvais s’amoncelaient au-dessus des toits. J’entrai dans l’édifice public.

Après un petit hall gardé d’une colonnade, et juste avant un escalier en marbre rose, je trouvai une hôtesse d’accueil occupée à se tailler les ongles derrière une petite vitre de sécurité. Je me raclai la gorge pour lui signifier ma présence, elle en sursauta. « Un touriste », murmura-t-elle, avant d’afficher un grand sourire et des yeux exorbités d’étonnement. Je n’en demandais pas tant ; quand bien même elle se leva et se mit à hurler : « un touriste ! », à destination sans-doute d’une personne qui devait se trouver dans une pièce adjacente ou un bureau à l’étage. L’hôtesse, bien en chair et toute de bleu vêtue, sortit de son cagibi de réception par une porte que je n’avais pas remarqué et se rua sur moi, posant ses deux mains à moitié manucurées sur mon col de chemise.

— Soyez le bienvenu, Monsieur ! finit-elle enfin, le rouge de ses pommettes tremblotant d’émotion.

Je ne savais quoi répondre, hormis que je n’étais pas vraiment un touriste. Il fallait que je m’explique, mais pas tant qu’elle appuierait son poids voluptueux sur mon corps. Je ne pus me dégager qu’après lui avoir fait trois bises – chose peu commune – et je lui montrai ma lettre.

— Je suis Monsieur Roch. Je suis envoyé par mon éditeur, l’Institut Walrus, pour régler une affaire dont j’ignore encore exactement le but, mais (et je lui montrai le paragraphe en question) je dois faire connaissance avec les habitants de Bagnuls et je pense que vous pourriez m’aider.

Elle ne comprit rien. Elle m’arracha le tapuscrit des mains et le lut en marmonnant chaque ligne comme une élève de cours élémentaire. Je me penchai vers elle sans lâcher le précieux document et tentai de nouveau :

— Je suis Monsieur Roch.

Son visage s’éclaira, mais elle ne reconnut toujours pas la raison de ma présence ici. Elle s’écria : « Monsieur le Maire ! » en direction des étages. Elle vrilla ainsi mes tympans à plusieurs reprises, jusqu’à ce que les mocassins grainés d’un petit homme apparaissent. Le maire portait un costume gris qui lui seyait à merveille, mais n’arrangeait rien à sa petite carrure.

— Qu’y a-t-il enfin, Brigitte ?

— Cet homme dit être envoyé par un Institut non touristique. Je pense qu’il est là pour vous-savez-quoi.

Walrus Institute 2: Monsters !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant