Chapitre 8

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Je range mes clés de voiture dans la poche intérieure de mon manteau avant de pénétrer dans le bar où j'ai rendez-vous avec Imane et mon frère. Normalement, j'aurais dû venir avec mon meilleur ami, mais j'ai été retenu plus longtemps que prévu au tribunal. Je passe une main dans mes cheveux pour les ramener en arrière et cherche du regard un visage connu.

Je ne mets pas longtemps à les repérer au fond de la salle principale. Accoudés à la table, une pinte déjà devant eux, ils discutent joyeusement. Jean a toujours eu du bagout comme on dit. Il est ouvert et parle avec tout le monde, mais le pire, c'est qu'il aime ça. C'est d'ailleurs en partie pour ça qu'il a désiré ouvrir ce bar, pour parler avec ces clients.

Enfin, ça, c'était au début. Aujourd'hui, les affaires marchent tellement bien qu'il a dû recruter du monde pendant qu'il est obligé de s'occuper de toute la paperasse. Mais ça ne semble pas lui déplaire puisqu'il réfléchit à en ouvrir d'autres. En France ou à l'étranger. Jean ne met aucune limite à ses ambitions et c'est beau à voir.

Je ne suis plus qu'à quelques mètres de leur table quand il m'aperçoit, il se lève dans la seconde et me rejoint rapidement. Il me prend dans ses bras et mes sourcils se relèvent sous la surprise tout en jetant un regard interloqué à Imane. Ce dernier se contente de hausser les épaules. Ça fait bien longtemps qu'il ne cherche plus à comprendre mon petit frère.

— Mon sauveur ! crie Jean en me donnant des grandes tapes dans le dos. Je te paie ma tournée !

Au moment où je pense qu'une ou deux de mes côtes vont se briser sous ses coups, je pose une main sur son torse et l'éloigne de moi.

— Ton sauveur ? Et tu veux m'envoyer à l'hosto en remerciements ?

— Non, non !

Il bouge ses mains devant lui, les yeux grands ouverts. Il a à nouveau dix ans pour moi. Je souris, attendri par cette image. Je m'installe sur la dernière chaise de libre pendant que Jean s'explique :

— Je veux juste te montrer à quel point je te suis reconnaissant !

— Mais qu'est-ce que j'ai fait encore ? l'interrogé-je en calant mon manteau sur le dossier.

— Tu m'as accompagné au club !

— Ah !

Il remet ça sur le tapis ? Alors que cela date de presque un mois à présent. Mais en même temps, nous ne nous sommes pas revus depuis. Entre nos emplois de temps surchargés, le mariage de Capucin qui a eu lieu et le dîner mensuel avec nos parents annulés, nous n'avons pas pu nous voir. Aucune réplique intelligente ne me vient alors je fais signe au serveur de venir en bredouillant :

— Ce n'était pas grand-chose...

— Quel club ? s'intéresse Imane en remarquant mon manque d'éloquence.

— Le club gay pour l'enterrement de vie de garçon de Capu ! répond naturellement Jean avant de prendre une gorgée de sa bière.

Je commande la même chose au serveur qui est arrivé quand mon frère prononçait les mots « club gay ». Si nous ne sommes pas catalogués, je ne sais pas ce qu'il faut faire. Enfin ce n'est pas comme si ça me gênait. Je m'en fous bien de ce que les autres pensent de moi et encore plus de ma sexualité. J'ai passé l'âge des histoires de collège.

— Tu es allé dans un club gay, toi ?

Je lève les yeux au ciel. En secouant la tête pour bien lui montrer mon désintérêt.

— C'était comment ?

— J'étais un peu gêné, dit Jean en se grattant la nuque. Voir des hommes pratiquement nus danser à proximité de moi, c'est... bizarre.

Je baisse les yeux sur mon téléphone que je viens de sortir de la poche de mon pantalon. Je comprends Jean et s'il n'y avait pas eu Maé, j'aurais sûrement pu déclarer la même chose.

— Et toi ?

Le regard de mes proches se pose sur moi, ils attendent ma réponse. Je retourne mon mobile pour que l'écran ne soit plus visible et assène tout simplement la vérité :

— Ça m'a plu !

Si nous avions été dans un cartoon, leur mâchoire aurait échoué sur le sol sombre du bar. Je ricane à cette réaction à laquelle je m'attendais. Après tout, depuis toujours, ils m'ont vu avec des femmes.

— Comment ça... ça t'a plu ? cherche à comprendre Imane.

— J'ai rencontré un mec là-bas, annoncé-je.

— Hein ? Quand ça ? s'écrie Jean. J'ai été constamment avec toi !

— Quand je suis allé aux toilettes.

— Bon sang, tu vas tout nous raconter une bonne fois pour toutes au lieu de nous faire mariner ? s'impatiente Jean, le rendant assez adorable.

Le serveur pose mon verre devant moi, un sourire en coin sûrement amusé d'avoir entendu le ton enfantin de son patron.

— Il n'y a pas grand-chose à raconter en fait...

Je ne pensais pas que dire ça me peinerait autant, mais c'est la réalité. J'aimerais avoir autre chose à dire que je me suis pointé à trois reprises au club après l'enterrement de vie de garçon et qu'il a seulement dansé avec moi comme il le fait avec ses autres clients. Il n'y a rien entre nous.

J'avais cru lorsque nous étions dans la salle « L'Envie » qu'il y avait un lien entre nous. Il a pourtant bien fallu que je me rende à l'évidence que dans la suivante, « L'Orgueil » qu'il n'y avait rien de plus que du professionnalisme, une relation de business entre lui et moi. Mais j'ai aimé cette pièce avec tous ses miroirs. J'avais l'impression d'avoir des dizaines de Maé autour de moi et c'était une situation plus qu'agréable.

Bien entendu, je ne rêve pas de vie de couple, de mariage ou d'enfants avec Maé. Je n'ai d'ailleurs aucun sentiment amoureux. Je ne suis pas en plein émoi en pensant à lui. C'est principalement sexuel, il faut l'admettre, avec une légère pointe d'attachement qui sort de nulle part. Un peu comme celle que j'ai pour Imane. C'est nouveau pour moi...

— Raconte quand même, exige Jean en me donnant une tape sur l'avant-bras.

Je râle, mais ne me fais pas plus prier. Je leur dis tout. Mon obsession pour lui. Son corps devant moi. Mon regard sur lui. Ses danses pour moi. Nos gestes. Nos échanges. Je bois une gorgée, leur laissant le temps d'assimiler que je sois autant attiré par quelqu'un. Et pas n'importe qui : un strip-teaseur. Mais je les connais, ils ne me jugent pas. Ils ne l'ont jamais fait quand j'avais des coups d'un soir.

— Tu comptes y retourner ?

— Bien sûr ! répond Jean à ma place à la question de mon meilleur ami. Tu n'as pas entendu ? Il lui reste encore trois péchés à faire...

Imane et moi rions à la remarque de mon frère même si au fond, il a raison. Tant que je n'aurais pas fait toutes les pièces privées de ce club, j'y retournerai.

— Imagine la pièce Luxure...

Luxure. Cet endroit me fascine. Me fait fantasmer. Beaucoup trop. J'imagine beaucoup trop de choses qui n'arriveront sûrement jamais. Elle me fait surtout peur... Parce que se passera-t-il après ? Que ferais-je lorsque ça sera terminé ?

— Tu vas bien t'amuser ! poursuit Jean joyeusement.

Cette fois, c'est Imane qui donne un léger coup à Jean. Je soupire. Je ne veux pas m'amuser. Je veux le faire mien, c'est plus fort que tout ce que j'ai pu ressentir dans toute ma vie.

— Sérieusement, Chuck... Tu comptes faire quoi ?

Une nouvelle gorgée et mes yeux se détournent vers le bar qui se remplit. Ce que je compte faire ? Rien. Maé ne m'appartient pas. Je suis qu'un énième client pour lui. Alors je vais juste profiter de la vie, je n'ai que ça. J'adresse un sourire à mon meilleur ami et assène :

— Trouver une bonne compagnie pour cette nuit...

Dames et cavaliers, avancez...

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