J'avais trois heures à attendre. Trois malheureuses heures. Ce qui, quand on y réfléchit bien, n'est pas grand-chose. Si on les compare à une vie entière ou même rien qu'à une semaine. C'est presque insignifiant. C'était d'ailleurs pour ça que je me suis rendu directement à l'hôtel. La voiture en double file, j'avais jeté un regard à la façade et avait grimacé. C'était trop pathétique de l'attendre ici.
C'est alors que j'avais compris que trois heures, c'était trop. Assis derrière mon volant, la frustration était montée en moi. Je ne pouvais pas rentrer chez moi, m'installer tranquillement dans mon canapé à regarder un film quelconque qui passait à la télé. Mon cerveau me l'avait interdit. Dans un élan désespéré, j'avais décidé de me rendre au bar de Jean pour boire un petit verre. Juste de quoi me faire patienter.
J'en suis à mon troisième Gin Tonic et je suis arrivé à la conclusion qu'il fallait que j'arrête de boire ce cocktail. Je ne sais même plus pourquoi il est devenu mon préféré. Ce soir, il n'a aucune saveur, aucun effet. Je grimace et éloigne mon verre. Mon regard scanne les environs, passe d'une table à l'autre et s'arrête sur Jean qui est derrière son comptoir.
Quand je suis arrivé, il m'a appris qu'un de ses employés était malade et qu'il devait le remplacer le temps de la soirée. Déçu, j'avais essayé d'appeler Imane pour qu'il me rejoigne, mais celui-ci se trouvait être en plein rendez-vous galant. C'est quand je me suis retrouvé seul face à cette situation que j'avais compris pourquoi j'étais venu ici.
Je cherchais quelqu'un. Un proche de moi à qui parler pour m'occuper l'esprit, mais ce soir, je n'avais trouvé personne. Pourtant, je sens que j'ai besoin de l'avis de quelqu'un sur ce que je m'apprête à faire. Les coups d'un soir, je connais. Sans me vanter, je suis un habitué. Mais avec Maé, c'est différent. Peu importe ce que c'est, j'ai la sensation que c'est différent.
Cette mise en scène, cette carte, cet horaire, ce peu de mots échangés, cette attirance... Tout est surréaliste. J'en ai rêvé, ai espéré que ça arrive un jour et maintenant que je suis à quelques heures de la réalisation de ce fantasme, j'ai... la trouille. Je donne un grand coup sur la table avec la paume de la main en m'exclamant :
— C'est ça !
J'ai une putain de trouille de coucher avec ce beau danseur. J'aurais presque envie de me frapper le front face à cette découverte parce que c'est clairement une première pour moi. Je soupire, désespéré par moi-même. Je jette un coup d'œil à mon portable.
Plus qu'une heure.
— Si tu es venu casser les tables, je t'indiquerais bien gentiment la porte de sortie ! lance la voix de mon petit frère. Ça coûte la peau des fesses ces merdes !
Il s'assoit à côté de moi, un verre de soda à la main et un sourire aux lèvres. La poésie ne fait pas partie des passions de Jean.
— Tu fais quoi ici ?
— Je viens boire un verre !
— Sans ton acolyte ou une femme à ton bras ? J'y crois moyen !
Je ramène mes cheveux en arrière, un peu amusé par le fait qu'il me connaisse si bien. Je me laisse aller contre le dossier de la chaise et cherche mes mots.
— Tu y es retourné ?
Sa question sonne étrangement comme une affirmation. Je ne peux rien lui cacher alors je hoche la tête tout en soupirant. Il boit une petite gorgée de sa boisson et croise ses bras sur la table de manière à se rapprocher de moi.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— On s'est embrassés !
Ses yeux s'écarquillent.
— Dans quelle salle ? m'interroge-t-il.
— Mais... On s'en fout de ça... De... Colère, dis-je finalement en voyant sa détermination dans son regard.
— La fougue... La passion... Bon choix ! marmonne-t-il comme si c'était pour lui-même et qu'il parlait d'un film pour une soirée cinéma.
— On n'a pas vraiment choisi ! râlé-je malgré moi.
— Ça, c'est ce que tu crois ! Mais alors, c'est quoi le problème ? Ça ne t'a pas excité ? propose-t-il.
— Jean ! m'écrié-je faisant mon prude pour la première fois de ma vie.
Souriant, il lève les mains en l'air.
— OK, OK, tu as bandé ! Rien chez lui alors ?
— Putain ! Mais qui m'a donné un frère pareil ?
Je sors mon portefeuille duquel je dégote un billet de cinquante. Je le pose devant Jean et tout en me levant lui déclare :
— Garde la monnaie pour les dégâts de la table !
Nous ricanons. Il me retient par le poignet et son sérieux est là.
— Tu te poses trop de questions, Chuck !
— J'ai rendez-vous dans un hôtel pour m'envoyer en l'air avec lui alors... je crois que j'ai le droit de me poser deux ou trois questions techniques.
Jean me lâche le bras. Il n'est pas choqué ou dégouté, juste surpris. Je le connais, il ne jugerait jamais sur ça. Bien qu'il soit le plus jeune de nous deux, il me tapote la joue comme un aîné le ferait.
— Je pense, sans trop m'avancer, que tu sais déjà comment les choses doivent se passer entre deux mecs. Alors, détends-toi et profite, frérot !
Il fait bouger ses sourcils de manière salace ce qui me fait lever les yeux au ciel.
— Si tu as envie de ça, tu ne dois pas t'arrêter à quelques problèmes de mode d'emploi !
Il n'a pas tort. Après lui avoir donné une tape à l'épaule pour le remercier, je quitte le bar sans faire attention à son Bon courage, un peu trop amusé. Ma voiture est garée juste au coin et je la rejoins presque en courant pour prendre la route sans attendre.
Contrairement à ce que je pensais, le trajet jusqu'à l'hôtel n'est pas si long et j'arrive avec un bon quart d'heure d'avance. Je soupire, mais lorsque je lance un coup d'œil à l'entrée, il est là. Adossé à la façade, il est emmitouflé dans un long manteau noir et une énorme écharpe rouge. Il est sexy à souhait et soudain, les problèmes de mode d'emploi comme les appelle Jean n'ont plus aucune importance.
Je verrouille ma voiture sans un regard pour elle et traverse à petites foulées la rue. Mon arrivée ne lui échappe pas et il m'observe faire. Le sourire satisfait qu'il m'adresse efface ma vie entière. Mais je n'ai pas le temps de le détailler, qu'il entrelace nos doigts sans me demander quoi que ce soit et m'emporte dans son sillage à l'intérieur de l'établissement.
Il y aura plus.
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Peep-Show
Short StoryPeep-show : Établissement qui propose la location de cabines individuelles où l'on peut voir, à travers une vitre, un spectacle érotique. Charles n'est pas du genre pudique et encore moins prude mais jamais, il n'aurait pensé être l'un des spectateu...