Chapitre 14

785 99 105
                                    

Et la vraie vie va commencer.

La vraie vie fait mal. Perdre Maé – ou Bastien – comme ça m'avait perturbé. Beaucoup trop. Alors j'ai téléphoné à Imane pour l'informer que je n'étais pas en état pour venir travailler. Il n'a pas dû croire un seul mot de mon excuse bidon de grippe, mais il n'a pas insisté. Étant la première fois que je faisais l'école buissonnière, il a dû comprendre que c'était important pour moi.

De toute manière, avec lui, tout était simple. Ça l'a toujours été. Il vous laisse le temps de trouver le juste courage qu'il faut pour vous confier à lui. Il ne force jamais les choses et encore moins les gens. Ça doit être la principale raison pour laquelle nous sommes amis et surtout que nous le sommes toujours. Il avait juste fini notre courte conversation par un Tu sais où me trouver.

Ces cinq petits mots avaient réussi à me mettre du baume au cœur bien que les reproches se bousculaient dans ma tête. Encore allongé dans ce grand lit froid qui n'était même pas le mien, j'avais cogité pendant longtemps. J'avais été réveillé par la femme de chambre qui venait la nettoyer. Il était presque midi. Après la nuit que j'avais passée, cela n'était pas étonnant que je me sois endormi sans m'en rendre compte.

J'avais donc quitté la chambre d'hôtel que Maé avait déjà réglée. Derrière mon volant, je m'étais senti seul, tellement seul. J'avais retenu quelques sanglots. L'idée d'aller squatter chez Jean m'avait traversé l'esprit pendant environ deux secondes. Bien que discuter aurait été la meilleure chose pour moi, je crois que j'étais incapable de voir qui que ce soit.

Du coup, j'aurais dû rentrer chez moi pour me vautrer dans mon canapé et m'abrutir devant une série policière, mais ça aussi, c'était au-dessus de mes forces. Me retrouver face à moi-même, c'est ce que j'avais fait depuis le départ de Maé et je n'étais pas sûr que ça me réussisse bien.

La réalité, c'est que j'avais envie de le retrouver et de m'excuser. Lui demander de pardonner mon insulte involontaire. Lui dire que je parlais seulement du prix de la chambre. Lui expliquer que je ne le vois pas du tout comme une pute. Qu'à sa manière, il est important pour moi. Mais le seul endroit où je savais que je pourrais le trouver était loin d'être ouvert en début d'après-midi...

J'avais fait le tour de la ville. Deux fois. J'étais passé au drive du premier fastfood que j'avais trouvé. J'avais végété dans un parc où les passants m'avaient diverti de ma peine. Mais à présent, je me rends bien compte que je n'ai plus le choix, je dois rentrer chez moi, dans ce bon vieux loft. Je l'adore, mais aujourd'hui, il me donne la nausée rien qu'à l'idée du vide de ces pièces.

Mais même si je dois rentrer, je peux quand même retarder encore un peu le moment. Je prends donc des détours qui me rallongent le trajet, me trompe volontairement de routes, ralentis pour pouvoir me taper tous les feux rouges que je peux malgré les klaxons des autres automobilistes qui me suivent. Bien que j'aperçoive des places devant mon immeuble, je me gare au bout de la rue pour avoir au moins la satisfaction de gagner deux minutes.

Mon manteau posé sur mes épaules, je marche sans me presser. Quand j'arrive à proximité de ma résidence, je tâte mes poches à la recherche de mes clés et une fois trouvées, je déverrouille la porte principale. En mettant un pied dans le hall, je suis surpris de voir quelqu'un assis sur une marche des escaliers. Bien qu'il ait le visage baissé, son attention portée sur l'écran de son téléphone, je le reconnais aussitôt.

Maé. Bastien. Mon danseur.

Il relève la tête et nos regards se croisent. J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Je suis trop abasourdi pour pouvoir dire quelque chose d'intelligible. Tout en rangeant son téléphone dans la poche de son jean, Maé se redresse puis fait un pas dans ma direction. J'ignore ce qu'il fait là et son visage neutre ne m'aide pas à déterminer son état d'esprit.

Après ce qu'il a cru comprendre ce matin, je ne pensais pas le revoir un jour et encore moins dans mon hall. Mon hall ? Je tourne la tête et vois la porte de l'appartement de la concierge entrouverte. Même si je ne la vois pas, je ne doute pas qu'elle ne veut rien louper de la situation. Cette fois, c'est moi qui entrelace nos doigts et entraine Maé dans les étages sans un mot.

J'aurais sûrement dû lui demander son consentement. Peut-être aurais-je dû le laisser parler dans le hall et risquer de me ridiculiser devant la concierge. Peut-être aurais-je dû commencer par m'excuser en fait... D'ailleurs, quand nous nous retrouvons dans l'entrée de mon loft, je ne perds plus une seule seconde :

— Je suis vraiment désolé pour ce que je t'ai demandé ce matin. Je ne parlais pas de toi mais de la chambre. Mais... C'était irrespectueux, je ne sais pas ce qui m'a pris.

Un léger sourire apparaît sur les traits de Maé alors qu'il s'adosse à un mur. Je l'imite de l'autre côté de la petite pièce. J'ai toujours râlé du fait de cette entrée soit trop petite, mais à présent, j'ai l'impression qu'elle est trop grande. Je suis trop loin de Maé.

— Je suis désolé de m'être emballé comme je l'ai fait, déclare-t-il.

— Oh non ! m'écrié-je. Tu avais toutes les raisons de mal le prendre. Mes mots étaient ambigus...

— En effet, mais... J'aurais pu être plus... diplomate, bafouille-t-il cherchant ses mots. Et te laisser t'expliquer aussi.

Il enfonce ses mains dans les poches de son manteau et soupire.

— Je suis strip-teaseur et j'aime ça, mais je ne couche pas avec mes clients. Jamais...

— Sauf moi...

— Sauf toi. Tu me plaisais... Tu me plais, se corrige-t-il. Et tes mots... J'ai pensé que pour toi, je n'étais qu'un cul, ça m'a...

— Ce n'est pas le cas, le coupé-je. Mais... c'est compliqué.

Je me laisse glisser contre le mur jusqu'à me retrouver assis sur le parquet.

— Explique-moi. Je pourrais peut-être comprendre...

Il s'assoit en face de moi et attend patiemment, les mains liées sur ses cuisses.

— Bien sûr, je te trouve sexy et beau. Mais je n'ai pas couché avec toi parce que je pensais que tu étais un prostitué. Ça ne m'a même pas traversé l'esprit. Ce matin, j'ai juste paniqué. Je ne savais pas quoi dire, quoi faire. Puis en voyant mon portefeuille, j'ai pensé à la chambre qu'il fallait payer et... C'est juste...

Je me pince le nez. Déclamer une plaidoirie n'est pas un problème, mais me confier à Maé est d'une complexité extrême pour moi. Cependant il m'écoute avec attention et ça me met en confiance.

— Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai eu que des coups d'un soir que je me faisais un plaisir de congédier quand tout était fini. Mais ce matin, j'ai eu l'impression d'être une de ces femmes. Que tu allais me virer de ta vie, mais je n'en avais pas envie. Je n'avais pas envie que notre nuit se termine.

— Je n'en avais pas envie non plus...

Nous nous sourions, de nouveau sur la même longueur d'onde. Ça fait du bien. Mais il faut que je sois honnête jusqu'au bout avec lui, même si ça va sûrement sonner le glas de ce que nous aurions pu avoir. Mais je ne trouve pas les mots. Imane serait là, il me dirait de me contenter d'être bref et efficace.

— Il faut que tu saches que... Je pense être aromantique...

Peep-ShowOù les histoires vivent. Découvrez maintenant