Chapitre 2.2

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Je finis de lacer mes baskets pour un jogging matinal. Avaler les kilomètres sur l'asphalte face à un ciel rosé me permet d'échapper pour un temps à mes pensées moroses. Jazz m'accompagne, elle connait le chemin par cœur. J'essaie de courir le plus souvent possible, ne pas perdre l'entrainement ni la condition physique que j'ai depuis l'adolescence. Aussi longtemps que je me souvienne j'ai toujours pratiqué un sport. L'athlétisme était ma passion. Je pouvais me retrouver seule dans les couloirs et tenter de battre mes adversaires, à la course comme au saut de haie. J'étais aussi capable de lancer le javelot. J'avoue que j'aimais bien élancer mon bras pour le planter bien loin dans la terre. Inconsciemment, je pratiquais les sports adéquates qui me permettraient de réussir tous les tests physiques pour mon entrée à l'école militaire.

Il y avait des chronos pour filles ou garçons. J'étais déterminée à prouver que je n'étais pas qu'un nom, une De Blay, mais bien un soldat avec les capacités physiques pour être première. J'ai été plus assidue sur les tractions et les suspensions, c'était ce qui me posait le plus de difficultés. En revanche pour l'endurance et le test navette ce n'était qu'une formalité tout comme le parcours d'obstacles. Non loin de la maison, sur mon parcours de courses à pieds, se trouvait une casse automobile. J'avais fait mon propre programme me permettant d'augmenter mon agilité et ma capacité à coordonner mes mouvements avec la rapidité, me créant des obstacles avec des pneus. Seul mon frère, Pierre-Jean, de cinq ans mon aîné, était dans la confidence. Il enregistrait mes chronomètres, me coachant si nécessaire. Il consentait à faire une heure de footing quotidien avec moi histoire de garder la forme. Il était mon confident et moi la sienne, la gardienne de ses secrets et lui des miens, notre solidarité a toujours été notre ligne de défense.

Je ne pouvais pas en parler à mes parents, le commandant aurait refusé que je rentre dans les rangs. Non, pour eux, seul mon frère ainé, Jean-Baptiste pouvait aspirer à une carrière militaire, un homme et non une femme. Il fut instruit et formaté comme il se doit. Il a suivi le digne chemin de son père dans la marine pour finir lieutenant de vaisseau. Dans quelques mois, il sera à son tour à la retraite. Mes sœurs quant à elles n'avaient pas le droit d'envisager cette carrière. Anne-Charlotte est professeur de musique et Carole-Anne bibliothécaire. Vous remarquerez les prénoms composés à rallonge dont nous nous sommes vus affublés. Pour finir papa avait encore la chance de voir son petit dernier, Pierre-Jean suivre ses traces, mais c'était sans compter son côté rebel et son horreur du sport en général.

Je n'ai à aucun moment regretter mes efforts. Faire un mètre soixante-dix permet d'avoir de grandes foulées ainsi qu'une bonne détente pour les sauts. J'étais endurante et j'avais la niaque nécessaire pour y parvenir, faire royalement chier mon père et rendre mon grand-père fier de moi. J'ai réussi au-delà de mes propres espérances. Voilà que j'obtenais mon ticket d'entrée pour l'école militaire de Toulon, bien loin de mes parents, seul Pierre-Jean me manquait cruellement. Après un an loin de lui nos confessions téléphoniques ne suffisaient plus. Il avait enfin pris des résolutions pour sa vie même si cela allait bouleverser notre famille. Il fit son coming-out à vingt-trois ans et finit ses études près de moi à Toulon, en s'orientant vers le multimédia et l'internet. Il est maintenant à la tête de sa micro-entreprise dans le domaine de la communication. Il peut faire de la création et programmation de site web comme du marketing et de la publicité. Le dernier service qu'il propose est dans le textile. Une personne qui souhaite personnaliser un tee-shirt avec son logo ou une phrase peut le faire imprimer à l'entreprise. Une belle start-up qui démarre bien. Je suis tellement fière de lui.

Aprèsune bonne douche, un petit déjeuner équilibré, arrosé d'une bonne dose de café,il est plus que temps de prendre la route pour le travail. Un regard à lagamelle de jazz me permet de voir qu'il n'y a pas que moi qui ai perdul'appétit. Cette chienne sait que son maître n'est pas parti en mission. Elle afait la différence entre ses départs programmés et la dispute d'hier soir. Jelaisse tout de même un mot sur le plan de travail en granit de la cuisine. Unpost-it collé, impersonnel, indiquant que je travaille trois jours et que lachienne n'a pas mangé. J'ajoute aussi qu'il peut dormir là ce soir s'il lesouhaite, vu que je suis de garde. Je dormirais au boulot si j'en ai le temps. Aumoment où je ferme la porte, je me demande encore, si c'est pour moi ou pourJazz que je souhaite qu'il reste ce soir à la maison. Elle a déjà passé la nuitseule et depuis le temps, elle est habituée à notre rythme soutenu de travail. Pourquoilorsque nous prenons des décisions, nous n'arrivons pas à nous y tenir. Regretterne va pas m'aider à avancer, pourtant c'est avec le cœur lourd que je me rendsà l'hôpital. Je me sens si coupable de ne pas être plus forte pour garderquelqu'un dans ma vie, si coupable d'avoir perdu notre enfant, si coupable ne m'êtreéloignée de ma famille. Jusque-là, je n'avais pas compris à quel point je mesentais mal au plus profond de moi.

Bonsoir les W.Anonymes

La fin du chapitre 2. Vous n êtes pas encore nombreuse à me lire mais je garde espoir.
Bonne soirée
Bises
Vinie

L'espoir blancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant