Chapitre 5.1

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On aurait pu croire que le malaise de l'annonce de ma rupture jetterait un froid sur le diner. Mais non pensez-vous... il n'en est rien. Au sein de cette fratrie je ne suis que la petite dernière. Les plus grands mariés, avec femme et enfants, sont plus intéressants. Les discussions ne sont pas variées, la marine et l'éducation nationale sont au cœur des débats comme d'habitude. Le fait nouveau, c'est la retraite de Jean-Baptiste qui souhaite que sa femme vende son salon de coiffure. Estelle n'est absolument pas prête pour ça et défend son point de vue avec le soutien de ma sœur, Anne-Charlotte. J'écoute à peine la conversation et n'intervient pas, avec mon jeune âge en ai-je seulement le droit ? Bien entendu, le sage de la table donne son opinion à outrance essayant de faire croire qu'il a quitté la marine. A-t-il vraiment arrêté un jour ? Carole-Anne de son côté semble vouloir que je participe à sa querelle avec son mari Thomas. Qui de Bussi ou Chattam écrit le mieux ? Elle s'efforce toujours de me convaincre de lire plus. Elle n'intègre pas que je n'aime pas la littérature. Pour une bibliothécaire, c'est un coup dur. Pour résumer, la moitié de la table est pro corps de l'armée tout confondu, tandis que l'autre est pro éducation et leur petit problème de professeur. Il n'y aura pas de troisième mi-temps sur les problèmes amoureux de P.J et moi-même.

Après la vaisselle, je choisis la compagnie des plus jeunes à l'ambiance plus festive. Il faut dire que le plus âgé de mes neveux et nièces a vingt-six ans et la plus jeune a douze ans. Ils sont dix au total et je me sens parfois comme une grande sœur plutôt que comme une tante. Ils sont rassemblés autour du brasero où dansent des flammes hypnotisantes. Bonne humeur et retrouvailles sont de mise. Deux jouent de la guitare, les autres chantent dans une joyeuse harmonie. Je me sens bien auprès d'eux. Une atmosphère digne d'un camp scout. Je me risque à faire de l'humour en prétextant qu'ils n'ont pas de chamallows, mais mon caquet est vite rabaissé quand chacun sort son pic de bois bien garni ! Ici pas de question, pas de jugement, juste le plaisir d'être ensemble.

Pour leur cinquante ans de mariage, mes parents ont souhaité faire une cérémonie civile dans leur jardin pour renouveler leurs vœux de mariage. Dimanche, lors de la messe, une bénédiction sera donnée en leur honneur. Mais pour l'heure, chacun s'affaire à la fin des préparatifs. Il a été décidé de prendre un traiteur avec des serveurs. La journée s'apparente à une garden party chic puisque le déjeuner est servi à l'assiette. Les invités commencent à arriver au doux son du groupe de musique engagé pour l'événement. Il y a les proches que nous ne voyons que lors des grands rassemblements, mais aussi les amis de longue date avec qui nous avons grandi et qui s'apparentent parfois plus à de la famille.

Les serveurs se faufilent entre les groupes de personnes où les discussions vont bon train. Leurs plateaux ronds garnis de flûtes de champagne et de petits fours réveillent mon palais et délient ma langue. Mon débat est axé sur les pouvoirs publics et le gouvernement qui tentent de supprimer mon poste. Mon oncle et sa femme ont été dans les services de santé de l'armée avant de revenir à la vie civile à la retraite. J'aime discuter avec eux. Ils semblent comprendre mon langage. Il est parfois difficile de parler de notre travail en dehors de notre cercle professionnel. Les gens ne comprennent pas notre engagement. Pour eux, c'est du dévouement.

— Je dis juste que je profite de mon poste avant qu'il ne disparaisse. Le gouvernement actuel comme le précédent a orienté la fin des IADE dans les SMUR. Les coupes budgétaires et notre déqualification nous mènent à notre perte.

L'alcool m'aide à débattre sur ce sujet, qui me met tellement en colère.

— Oui, mais vous êtes remplacés ? Me questionne mon oncle.

— Remplacés ? Je vais t'en parler ! Nous sommes des professionnels paramédicaux spécialisés pour de la médecine d'urgence. Là, il nous remplace par des infirmiers en soins généraux sous prétexte d'un rééquilibrage financier qui va à l'encontre de nos missions principales, la qualité et la prise en charge des soins des patients.

— Tu expliques que ta direction hospitalière préfère l'équilibre financier à la qualité des soins urgents ainsi que la sécurité des patients ? Résume ma tante.

— Oui, c'est ce que je dis et je ne suis pas la seule à m'exprimer ainsi. Actuellement, je me retrouve à former un jeune infirmier pendant quinze jours, puis je le lâche dans le grand bain. Je rappelle que je suis retournée deux ans à l'école pour me spécialiser, anesthésie et réanimation.

— Tu es bien syndiquée au moins ? Tu sais, je pense avoir encore des contacts et je peux me renseigner pour toi ?

— Merci Tatie, ne t'inquiète pas, nous sommes tout un collectif d'anesthésistes. Il n'y a pas que dans mon hôpital que ça se passe comme ça.

— D'accord, mais si tu as besoin tu sais où demander. Tu nous tiendras au courant. Tu entends ça !

Ma tante tape le bras de son mari pour avoir toute son attention.

— Mais bien sûr que je suis là, j'écoute depuis tout à l'heure.

— Ils mettent les jeunes en difficultés, ceux qui n'ont pas la formation. Ils leur demandent des connaissances et de se spécialiser, mais pour finir il ne se servent pas de leurs compétences.

— De toute façon, il y a beaucoup de choses à revoir sur le système de soins français.

Je coupe court à la conversation avec mon oncle avant qu'il ne me raconte comment, de son temps, ils manifestaient et faisaient en sorte que les choses bougent. Syndiqué un jour, syndiqué toujours ! Monsieur s'ennuie à la retraite. Alors il a fait partie des gilets jaunes et a occupé avec ses camardes les ronds-points des villes. Sa femme a dû se fâcher sérieusement pour l'empêcher de monter à Paris lors des grosses manifestations. Les dégâts du premier week-end lui ont donné raison. Il aurait pu être blessé, voir arrêté.

Je m'éclipse en douce, prétextant une envie pressante. Je suis heureuse pour mes parents. Pour l'heure, leur réception est particulièrement bien réussie. Je regarde autour de moi et ressens comme un apaisement intérieur malgré la foule réunie. Les enfants qui courent et crient tout en jouant. Les discussions animées par des petits groupes tandis que d'autres conversations sont chuchotées. J'entends le tintement traditionnel des verres avec chaque convive lors des toasts en l'honneur de leurs hôtes. C'est une journée plus que magnifique. Le soleil de mai nous tape sur la tête et nous oblige à porter la main à notre front pour nous cacher de l'éblouissement. Un serveur vient glisser quelques mots à l'oreille du commandant, signe qu'il est l'heure de passer à table. Mon père regarde sa montre et semble acquiescer les dire du jeune homme 

L'espoir blancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant