Mon mari se tient face à une porte que dans un instant il va franchir, le regard fixé devant lui. Je sais qu'il a peur de croiser le mien. Peur de devoir entamer la conversation. Peur, en me parlant, d'admettre que, depuis l'événement, je suis la seule qui pourrait lui répondre.
Il manque quelqu'un autour de nous. Et j'ai beau scruter mes souvenirs en quête de son visage, rien ne me vient. Serait-elle, cette personne, encore inconnue ? La prévision d'une rencontre plutôt que les traces d'une disparition ? Qui est-elle ?
Il ou elle est pourtant là, je sens son souffle dans cette portion d'air qui transpire de son absence. C'est cela : il y a un espace, près de moi, qui n'existait pas, un vide à remplir ou en attente de disparaître enfin. Qui est-il ou qui était-il ?
S'il n'est plus, plutôt que de n'être pas encore, il faisait partie intégrante, plus que de ma vie, de chaque fibre de mon être, j'en suis sûre. Était-il de ces miettes d'âme qu'on essaime à chaque tourment ? Un soupçon de tristesse, laissé là, à vos côtés lorsque l'oubli remplace les regrets ? Ou davantage ? Est-ce moi-même que je recherche ? La nouvelle personne qui, tout compte fait, deviendra celle que je ne veux pas être, celle qui survivra, et reviendra de la vallée de la mort. Qui sera-t-il ?
Je ne tiens pas la façade, je suis la façade, mécaniquement et servilement, je vais là où les convenances me convoquent. Je joue le rôle de cette mère-courage qui terrassera les moulins, avec son aimé, pour retrouver l'enfant disparu ! L'image est belle, elle vendra toutes les lessives du monde. Elle fait déjà la Une des journaux, j'en suis sûre, même si je ne les lis plus, si je m'enferme dans cette délicieuse ignorance que je craignais tant, avant mon drame, ma tragédie, soupçonnant que seul la connaissance des événements me séparerait de cette masse beuglante et abrutie de bêtises... Mon snobisme me convainquait que je devais tout savoir, tout voir, tout essayer, que je devais embrasser le monde entier pour revenir à l'essentiel de ma propre personne, que le battement d'aile d'un papillon en Chine ne pourrait jamais causer un tremblement de terre dans mon jardin secret si je n'en avais lu le récit circonstancié dans deux magazines d'investigation ou vu l'adaptation cinématographique avec Johnny Depp.
Mais depuis, je ne lis plus, je ne regarde plus, je n'écoute plus, sinon mon coeur qui bat au rythme de son absence.
Mon mari se tient face à une porte que dans un instant il va franchir.
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Traduit de l'américain
FantasyIl y a ce que l'on voit... Puis, ce que l'on pense... Et enfin ce que l'on sait. "Comme un matin ordinaire, j'effectue les gestes, mécaniques. Je laisse couler un peu d'eau chaude dans l'évier ; je trempe mon blaireau dans le fond d'eau pour l'humec...