Chapitre 6

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- Ellie Samuel -

C'était le temps qui refusait de s'écouler, le temps assassin de ma patience, l'attente insupportable. Et la douleur...le poison n'avait laissé qu'une souffrance sourde au niveau du cœur. Mon corps était endolori, je n'avais même plus la force de grimacer. L'infirmière restait muette tandis qu'elle m'auscultait au milieu des blessés et des cadavres. Trente-deux victimes au total, Bianca avait donné ses instructions avant son attaque, ses hommes de main ne s'étaient pas attardés après leur massacre que n'avait laissé que cohue et désespoir. Elle était la seule a être restée, elle était la seule qui ne repartirait jamais... Deux soldats avaient fouillé la sa dépouille de la harpie et trouvé une carte de l'établissent ainsi qu'une lettre cacheté énonçant en détail les projets du clan Bourgeois et bon nombre de ses partisans.

-Ça va comme tu veux ?

Raven... Il avait les cheveux en bataille et était vêtu d'un uniforme de soldat, le fusil d'asseau qu'il avait entre les bras m'a fait frissonné. Il a effleuré ma joue des doigts :

-Ne t'en fais pas, je suis juste assigné à ta protection. Tout porte à croire que Mathias va tenter de t'enlever, dans les confessions de la regrettée Bianca, elle y écrit qu'ils ont besoin de la Légende pour connaître le futur... Et qu'ils t'abattront après ça.

-Je...je ne suis pas capable de faire un truc pareil !

-Pour l'instant, tu en seras tout à fait capable lorsque ton Henkan se réveillera, avec un peu d'entraînement, tu acquerras de nouvelles forces et de nouvelles puissances jusqu'alors insoupçonnés pour la plupart d'entre nous. Tu nous surpasseras tous, nous n'aurons l'air que de rampants à côté de ta puissance.

J'ai détourné la tête afin de ne plus avoir à supporter mon reflet dans ses pupilles ambrées. Je ne voulais pas connaître la déchéance que vivent les hommes à qui l'on accorde un semblant de puissance, je refuse d'être ce genre de personnes, il faudrait me tuer avant que cela ne se produise... Et pour une fois, Bianca avait su voir clair.

-Raven, je pense que c'est une bonne chose que je meure... Même si ce n'est pas ce que je souhaite au plus profond de moi, mais tu le sais parfaitement toi aussi, c'est beaucoup trop dangereux de me garder vivante, ils tenteront n'importe quoi pour m'avoir si Bianca n'a pas menti, et je doute que les Bourgeois soient du genre à renoncer rapidement.

L'infirmière s'est redressée et a traîné mon ami hors de ma portée afin de lui toucher deux mots sans que je puisse les écouter. Je me suis recroquevillée contre la cloison métallique, j'avais terriblement froid, seulement je n'étais pas en position de demander quoique ce soit, d'autres avaient plus besoin d'aide que moi en ce moment précis, quant à certains, ils n'étaient même plus là pour vouloir la moindre couverture. J'ai fermé les yeux en espérant me réveiller de ce cauchemar. Mais au-delà du néant que je ressentais, il n'y avait rien, toujours plus de vide, toujours plus d'incompréhension et de rage... J'ai vu Raven hocher la tête, il était crispé, se tenant le plus droit possible pour sembler plus grand. Lorsqu'il durcissait les traits de son visage, je remarquais à quel point il souffrait, il devait lutter pour ne pas laisser entrevoir une faiblesse exploitable par quiconque aurait de l'ambition. Soudain quelque chose m'a frappé, cette colère qui paraissait vivre en lui depuis tant d'années, Aiden avait la même, tout comme Arashi et Anna... C'était une souffrance qui avait encore une plaie purulente sur laquelle on ne cessait d'appuyer, la douleur de décevoir, l'envie et l'ordre de faire mieux, de se surpasser... Ils avaient tous cela en commun, la grandeur de l'âme, et la définition de l'évolution qui leur avait été inculqué dès le plus jeune âge par des précepteurs hors de prix dont la réputation était connue de toute la communauté des Senshis. Leur enfance n'avait pas dû être des plus tendres, et je finissais par saisir les raisons qui les poussaient à me haïr quelques fois pour mon existence « humaine » au cœur de New York. Et à présent, maintenant que je peinais à rester lucide et que je tentais de vaincre des insomnies de plus en plus implacables, j'étais persuadée qu'aucun d'entre eux ne se serait proposé pour être à ma place. Je les voyais bien, malgré tous mes efforts pour n'y prêter aucune attention, cette pitié qui naissait dans leurs pupilles égarées à chaque fois que nos regards se croisaient. J'étais devenue cette fille dont on parlait en messes basses, dont on écarte les jeunes enfants de peur de les retrouver atteints d'une profond et terrible mélancolie inguérissable. J'étais devenue la peste.

Âme d'Argent : La CibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant