- Ellie Samuel -
Il faisait froid et je mourrai de faim.
Voilà tout ce qu'il y avait à retenir de mon état, trois jours avaient passé depuis le visionnage de la vidéo et je me rapprochais plus d'un cadavre en réanimation qu'un mourant en plein traitement. Je ne me plaignais pas, aussi étrange que cela puisse paraître, je m'étais murée dans le silence. Tandis que la vie me quittait lentement, je sentais les fêtes de fin d'années avancer à grands pas. Les sapins s'étaient lentement empilés dans les sous-sols, juste à côté de ma cellule. La « suite présidentielle » était le surnom donné à la chambre « du dessous », dans la prison souterraine, l'humidité était totale, ainsi qu'une désagréable odeur d'urine. Ils avaient beau essayer de faire de cette pièce un lieu accueillant, je n'y voyais là qu'une cage rouillée sans échappatoire. J'étais définitivement prisonnière.
Le temps s'écoulait au rythme de l'eau qui gouttait du plafond, les visites morcelées de mes amis étaient mon unique contact avec le monde extérieur. Je n'apprenais que les mêmes nouvelles : pas de cours, froid, neige, toujours pas de remède. Généralement, je me contentait de rester muette, de les laisser faire la conversation et d'attendre patiemment qu'ils remonte vers la surface. J'avais noté avec une pointe de sarcasme qu'on m'avait déjà enterré, ce que j'avais trouvé ironique vu leur obsession de vouloir me sauver la vie. Je me suis rapidement rendue compte qu'une semaine supplémentaire venait de s'écouler sans que je ne puisse rien y faire.
-T'as vraiment une sale gueule, Ellie. J'espère que tu le sais.
La voix d'Aiden était marquée par la colère. Il s'en voulait personnellement de ne pas avoir été présent lors de mon éclat de folie, peut-être parce qu'il se sentait responsable de moi, je n'en savais trop rien.
-À quoi tu t'attendais ? L'humidité n'aide pas à raffermir les pores de la peau, pas plus que la quantité de « traitements miracles » que vous me faites avaler sans relâche.
Il a semblé hésiter à parler, mais s'est finalement lancé, prenant soudainement la décision de libérer les mots qui pesaient dans sa poitrine.
-J'aimerais être honnête avec toi, tu me manques. La... la fille que j'ai connu à Paris me manque terriblement.
L'air dépité, il s'est tourné vers moi avec les yeux au bord des larmes. La scène qui se jouait entre nous était d'un pathétisme accablant, elle avait un arrière-goût de fausseté, de factice et de mauvaise interprétation théâtrale.
Le Grand Aiden Cleenart éprouvant des remords, qui l'aurait cru ? J'aurais pu tomber dans le panneau, à condition de ne pas savoir ce qui lui traversait l'esprit en cet instant.
-Je crois que tu te trompes, je n'ai pas changé, et je sais que toi non plus. C'est bien pour ça que je trouve ton acte d'une petitesse monstrueuse de se servir de mes émotions pour me forcer à me battre plus fort contre une chose à laquelle on ne peut rien changer. C'est fini, les dés ont été lancés, c'est la fin du chapitre, et et même le Senshi du Lion n'a aucun contrôle sur la situation.
J'ai gravé cet instant dans ma mémoire, celui de la collision infernale entre une odeur de gâteaux à la cannelle et celle du déodorant de l'homme à moitié fauve qui se tenait en face de moi. Jusqu'alors j'avais cru que rien ne serait assez puissant pour le dépayser, qu'il avait vécu tant d'horreurs qu'il était devenu hermétique à la douleur dans sa forme la plus cruelle. Il avait tant encaissé qu'il était même surprenant qu'il soit encore capable de tenir debout. Aujourd'hui, en ce moment précis, j'ai vu de mes yeux la déchéance et le poids des années s'écraser sur lui sans une once de compassion. Ses épaules autrefois fortes, inébranlables, ces montagnes de chair et de sang se sont affaissées dans un soupir désespéré. Je n'arrivais pas à y croire, j'avais fait plier le bourreau des cœurs de Boston, et malgré le caractère extraordinaire de mon exploit, je n'en tirais aucune satisfaction. Comment aurai-je pu savoir que j'avais le pouvoir de le faire flancher. À présent, il n'y avait plus que la culpabilité pour me ronger les os.
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Âme d'Argent : La Cible
Paranormal[Publié aux éditons First Flight] Ellie et les autres doivent s'adapter à la vie à l'école Stall, en Russie. Mais les menaces grondent encore, et personne n'est à l'abri. C'est dans cette atmosphère d'angoisse qu'Ellie fait plus ample connaissance...