Altanbayaar attendit qu'Iyuun soit arrivé au bas du grand escalier, l'assiette presque intacte entre les mains.
— Je viens rendre visite à Thuya.
L'employé hocha la tête, timidement.
— Qu'on ne nous dérange pas pendant ce temps.
Iyuun acquiesça encore, puis reprit sa route vers la cuisine tandis que le meilleur ami de son maître gravissait les marches vers le premier étage. Avant de quitter le corridor, le serviteur jeta par-dessus son épaule un regard un peu inquiet à la haute silhouette qui montait.Dans le couloir, assise sur un fauteuil à bascule où elle cousait, l'oreille tendue, Tsusanda salua l'homme politique. Ce dernier lui sourit avec amabilité.
— Je viens dire bonjour à Thuya. Je souhaite lui parler en privé et je compte donc fermer la porte.
À ces mots, la vieille gouvernante plissa le front.
— Ce n'est pas très correct. Une femme mariée et un homme célibataire...
— Jinyasalm m'honore de sa confiance totale.
— Mon maître n'est pas là en ce moment.
— Si la confiance est totale, ça veut dire qu'elle s'exerce même lorsqu'il n'est pas avec moi, n'est-ce pas ?
Tsusanda hésita un moment, puis finit par donner son accord. Elle savait de toute façon que ce dernier n'était pas nécessaire au vu de la différence de statut entre eux, et que le ministre faisait déjà preuve de politesse à son égard en lui exposant ses intentions.
— Allez-y.Altanbayaar frappa donc à la porte entrebâillée.
— Je peux entrer ?
De son lit, où elle peignait comme à son habitude, Thuya lui répondit par l'affirmative. Il pénétra dans la pièce colorée avant de refermer le battant derrière lui.
— Tu as quelque chose à me dire ?
Thuya semblait toujours à bout de souffle, à présent, comme si sa poitrine très amaigrie ne pouvait plus contenir assez d'air pour qu'elle respire normalement.
— Je viens te saluer.
Le ministre des Communications s'assit sur la chaise à son chevet, et elle lui sourit, sans déposer son pinceau pour autant.
— Tu ne viens jamais saluer les gens sans raison. Et tu as fermé la porte.
Il rit.
— Toujours perspicace. La digne femme d'un esprit aussi fin que Jin.
Sans cesser de sourire, ni de peindre, Thuya haussa ses épaules étroites, couvertes d'un châle en coton blanc aux motifs délicats.
— Ce n'est pas faute d'avoir tenté de le décourager de m'épouser, à l'époque.
— Je l'admets. Mais j'avais tort. Pour lui, tu étais le meilleur choix.La jeune femme tapota ses lèvres du manche de son pinceau.
— Même si je lui brise le cœur en mourant ?
— Ce n'est pas ta décision. Et oui, sinon.
Elle fronça légèrement les sourcils.
— Parce que son malheur le rendra plus malléable ou, au contraire, l'endurcira ?
— Parce qu'il a été heureux durant les années que vous avez partagées.Les mots d'Altanbayaar éclaboussèrent les yeux verts de Thuya de stupéfaction, ce que voyant, il précisa :
— Jin a été mon ami avant de devenir mon allié politique.
— Je sais bien... Mais c'est ta faute, aussi. Tu es rarement sentimental.
Il répondit d'un ton amusé.
— Je plaide coupable. Jin l'a toujours été pour tous les deux.
Thuya fit la moue.
— Jin est un homme trop bon pour sa fonction.
— Jin est exactement l'homme qu'il faut pour sa fonction.À cette remarque, Thuya se figea une seconde. Elle étendit ensuite le bras pour déposer son pinceau sur la table de chevet.
— De quoi est-ce que tu voulais me parler, Bayaa ? Je t'écoute.Plutôt que de répondre, Altanbayaar fit un geste vers la toile inachevée qui reposait sur les genoux de l'artiste et figurait un paysage champêtre, dans des tons de vert et de jaune.
— Ça ne te rend pas triste que personne ne sache jamais que c'est toi qui es l'autrice de toutes ces œuvres d'art, puisqu'elles sont au nom d'Iyuun ?
— Il n'y avait pas d'autre solution. Si elles avaient été à mon nom, elles n'auraient pas eu de valeur, puisque je suis une femme. Personne ne les aurait exposées, ni voulu les acheter.
— Et ça ne te dérange pas que la vérité ne soit pas rétablie ?
— Peu m'importe cette vérité. Ça ne m'a pas empêchée de les peindre. Et qu'ils ne connaissent pas leur vraie autrice n'empêche pas les gens de les admirer.

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La part du feu
FantasyDeux adolescents rêveurs se sont promis de changer le monde. Adultes, ils réalisent que les rêves ne suffisent pas pour y parvenir ; il faut aussi des sacrifices. [Rien dans cette histoire n'est libre de droits, y compris les illustrations, qui sont...