Fil conducteur

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La jeune femme regardait d'un œil fatigué ses fiches de révisions. Elle en avait écrit une dizaine depuis ce matin, et elle se demandait comment elle avait pu faire. Son portable lui indiquait 20h02. Sa journée était passée vite. Après le déjeuner, elle avait eu deux cours puis s'était retrouvée à 17h à la B.O. Elle ne s'était pas arrêtée depuis.

La lumière tungstène au-dessus d'elle commençait à lui faire mal aux yeux et dans une pensée, elle s'imagina déjà chez elle, enroulée dans un plaid et un chocolat chaud. Ollie sortit de l'université, la nuit était tombée et quelques lampadaires éclairaient l'allée et les marches. Une atmosphère d'attente de Noël mais aussi de stress des examens régnait.

Après une quinzaine de minutes, elle se retrouva devant la porte verte de son appartement, et entra. Lou et Aline étaient déjà à l'intérieur, s'activant sur le repas du soir.

- Ah tient, te voilà, j'allais t'envoyer un message pour savoir si tu mangeais avec nous » débita Lou avec une joie démesurée.

Ollie fronça les sourcils, posant son sac au pied d'un porte manteau. L'odeur qui se dégageait de la cuisine était salé, enivrante, mais elle ne sut pas reconnaître le plat. Dans la salle à manger que l'on voyait lorsque l'on pénétrait dans l'appartement, la table était en train d'être dressée.

- Vous avez préparé quoi ? dit-elle à l'intention de Lou, mais elle disparut dans le salon, renfoncé à côté de la table du repas.

Aline était au fourneau. Une voix grave lui parvenait et quand elle rencontra l'embrasure de la porte de la cuisine, en suivant le couloir à gauche puis à droite, la silhouette du petit copain d'Aline apparue.

- Salut Mat' lança-t-elle au gars à la peau foncée appuyé sur le plan de travail.

- Oh salut Ollie, on attendait plus que toi.

Aline se redressa d'un coup et donna une légère tape sur le bras de son copain, lui reprochant ce qu'il venait de dire. La jeune métisse restait en retrait, les regardant se parler à voix basse sur un ton mi-engueulade mi- passion.

- Bon Ollie, s'il te plait, tu peux aller aider Lou à mettre la table, on sera six.

Cette dernière se retourna sur l'ordre d'Aline et reprit le chemin inverse, le couloir puis la salle à manger et le salon, en face de la porte d'entrée.

- Comment ça on est six ?

Les longs cheveux noirs de son amie se balancèrent sur son dos lorsqu'elle pivota pour lui faire face. Lou était un peu plus grande que sa colocataire et avait un visage fin dont le menton ressortait un peu. Ses yeux en amande et ses longs cils embellissaien son être.

- Nous trois plus Mathieu et deux invités surprise, tient met les couverts, s'il te plait.

Puis elle s'échappa. Ollie pris donc la tâche en main, sachant pertinemment qu'on lui cachait quelque chose. Une fois la table mise, la sonnette fit vibrer tout l'appartement. Aline et Lou lancèrent en cœur qu'elles y allaient pendant que la troisième restait assise dans le canapé du salon, son téléphone en main. Elle tendit l'oreille lorsque d'autres voix se firent entendre.

Des voix inconnues pour le moment.

- Ollie je te présente Samuel et Wendy, ils sont jumeaux.

Avaient atterris dans le salon deux jeunes, la peau rougit par le froid extérieur. Ils se ressemblaient. Châtain clair tous les deux, élancés, les mêmes nez droits et les yeux bleus. Ils vinrent faire la bise à Ollie qui leur précisa qu'elle n'était pas du tout au courant de leur venue. Ils sourirent et Wendy dit qu'ils ne pensaient pas venir non plus.

- À table, » déboula Mathieu en tenant un plat entre des maniques, « c'est chaud, c'est chaud. »

Il le jeta presque sur le dessous en liège et pesta contre ces protections inutiles.

Ollie s'avança pour s'installer à droite de la table puis tourna le regard vers le couloir, la table se trouvant dans le prolongement de la porte. Un blouson orange fluo était posé au-dessus de tous les autres.

- Elles n'ont pas osé, pensa-t-elle, décalant son œil vers Samuel, sceptique.

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Le repas se déroulait à merveille, mais j'avais la sensation que je n'avais pas bien fait. Que ce n'était pas ça. Lorsque j'avais quitté Ollie ce matin, j'avais pris toute la journée pour flâner dans les rues, me rappeler des souvenirs, regarder ce qui avait changé.

Mais la chose que j'avais le plus faite, c'était de voler. J'avais vu ma ville sur plusieurs mètres de hauteur, donnant des paysages magnifiques. Le soleil à travers les nuages, disparaissant parfois sur la Terre. Et tous ces champs, ces villages rassemblés, les avions qui décollaient ou atterrissaient. Les oiseaux se laissant porter par le vent, leurs ailes écartées. Puis, j'avais plongé dans un lac, ne ressentant pas la sensation d'être mouillée. J'étais allée jusque dans ses profondeurs, n'ayant plus besoin de respirer. J'avais contemplé les petits poissons, les coquillages, le sable et les petits êtres vivants de ces eaux douces. C'était magnifique.

Puis, j'avais réfléchi à ma stratégie d'attaque pour Ollie.

Comment l'aider ? J'avais, certes, accès à ses pensées, mais je n'avais pas accès à ce qu'elle était, ce qu'elle aimait si elle ne le concevait pas sur le moment.

Donc, tandis que j'étais revenue sur l'université et que j'avais croisé la fameuse personne avec une doudoune orange, j'avais envisagé qu'une relation amoureuse pourrait peut-être l'aider.

Parfois, dans les films cela fonctionnait. La fille était sauvée par le garçon ou l'inverse. J'avais alors insufflé cette idée dans l'esprit de ses deux colocataires. Puis, j'avais émis la possibilité d'une rencontre dans le crâne de « doudoune orange ». C'était juste une idée de plaisir, rien qui ne pouvait le forcer à accepter. Car, s'il l'avait voulu, il aurait pu décliner l'invitation que lui avait faite Lou par la suite. Il était libre de choisir.

Mais apparemment il avait dit oui, car ils se retrouvaient à six dans le petit appartement, partageant le plat préféré d'Ollie, qui semblait être des lasagnes. De mon point de vue, ça ressemblait plus à de la bouillie qu'autre chose, mais je ne pouvais me permettre de juger que sur l'apparence.

Malgré que le plat lui soit favorable, ce n'était pas la bonne initiative à prendre. Ollie n'avait pas l'air d'aimer ça. Elle ne voulait pas de relations amoureuses, du moins c'est ce qu'elle laissait transparaitre de son esprit. Toutefois, même sans la connaître, je savais qu'elle se mentait à elle-même. Cette jeune femme n'était tout simplement pas prête à en avoir une, car elle ne s'aimait pas assez.

Je souris en m'arrêtant net dans ma réflexion.

Il était là mon point de départ, le problème source à résoudre. Ma jeune protégée ne pourrait pas avancer sur le chemin de la vie si elle n'apprenait pas à se considérer à part entière.

Comment allais-je faire pour qu'elle s'aime un peu plus ?

La poursuite d'une vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant