8. Ruibé

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Bajir voulait se cacher dans une carcasse aux portières arrachées. Impossible : des chats brûlants vivent dans cette tôle. Et Bajir avait commencé à marcher comme un singe, les doigts très près du sol, à cause d'une silhouette aperçue au bout de la rue. La discrétion vient de là. Peut-être une force de l'ordre, auquel cas Bajir est en train d'enfreindre le couvre-feu. Mais peut-être aussi quelqu'un qui enfreint lui-même le couvre-feu. Bajir : sa tête oscille entre les rétroviseurs et les phares aux ampoules à moitié fondues dans lesquelles la nuit caramélise. Pour l'instant on ne l'a pas encore repéré.

Lors d'un contrôle, pense-t-il, tu ne donnes jamais ton vrai nom. Le plus souvent, tu attends que ta bouche parle à ta place. Celui de Ruibé, par exemple, même si (ou parce que) Bajir ne l'a jamais rencontré.

Maarko parlait souvent de Ruibé. Bajir n'a jamais compris ce qu'il était. Un autre gaupe. Un attaché parlementaire. Un larbin de surface. Un dealer de médicaments. Un neveu. Un ami. Un journaliste.

Bajir se souvient d'une nuit où Maarko était un peu trop triste. Il n'avait pas le cœur à la peinture. À la place il crachait de la salive réelle sur le corps de Bajir, il parlait de Ruibé à voix haute, il se plaignait beaucoup.

- Je n'ai pas le droit de me plaindre, il disait. C'est moi qui lui ai mis son machin sur le dos (une combinaison en élastane pour faire de la plongée sous-marine, avait dit Maarko à Bajir, et Bajir avait secoué l'âme et le crâne). C'est censé te protéger du froid.

Puis l'histoire devenait vite confuse et Bajir ne saura jamais réellement si Ruibé a disparu de son plein gré. On raconte qu'il est allé s'enfermer dans un container du port de Beris. À cause des paquebots, d'énormes grues noires comme des puits de pétrole vivotent là-bas, en attente de matière à déplacer. Ruibé, disait Maarko, était devenu un candidat à l'exil

BajirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant