I.2

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Lorsque le duc l'avait éloigné du manoir familial, Eliza n'avait jamais espéré y retourner un jour. La capitale était l'un des seuls endroits qui la révulsait. L'odeur répugnante de complots et de l'hypocrisie la rendaient souvent nauséeuse lorsqu'elle s'y rendait pour de courts séjours. Bien évidemment, puisque le duc de Navarres ne souhaitait en aucuns cas que son identité soit révélée, Eliza se devait de trouver un moyen pour rester dans l'ombre la plus totale.

...Après tout, n'avait-il pas cessé de lui répéter qu'elle était le pion qui renverserait l'échiquier royal ?

La seule chose dont elle était sûre en revenant dans la demeure des Navarres, c'était qu'elle serait la cause de beaucoup de maux. Un léger rictus s'établit sur sa mine fatiguée. Qu'il serait plaisant à voir leurs visages déconfits en la voyant.

— Son Altesse le duc de Navarres a exigé à ce que madame arrive avant la tombée de la nuit ! Hâtez-vous donc, cocher, brailla une voix étrangement ennuyante.

Lentement, les paupières de la jeune femme s'ouvrirent. Elle découvrit le visage de sa modiste, Enora, qui fronçait des sourcils tout en jetant un regard à l'extérieur. Elle prit une soudaine inspiration, visiblement mécontente par le hurlement d'une domestique qui manquait de retenue.

— Quelle impudente, oser brailler de cette manière devant une dame, lui confia-t-elle en se retenant de le clamer haut et fort pour lui en faire la remarque.

Mais Enora n'était qu'une simple modiste, présente à ses côtés seulement pour lui créer ses plus belles toilettes. Eliza avait imposé deux conditions auprès du duc en échange de son retour au manoir des Navarres, dont l'une était : que sa modiste l'accompagne et soit logée chez eux. Au départ, il l'avait considéré d'un regard mauvais, comme si sa demande particulière lui semblait inappropriée. Cependant, elle n'avait eu à justifier sa requête que par le simple fait qu'Enora serait la seule capable de faire d'elle la plus simple et la plus raffinée des dames de la capitale sans extravagance. Assez pour que les yeux se tournent vers elle. Et suffisamment pour attiser la curiosité des plus grands.

Une modiste ne pouvait se mêler de la discipline du personnel. Et encore moins lorsque les employés étaient sous les commandes d'un duché.

— Dites au cocher de s'arrêter à l'auberge des Maubourgs.

Surprise, sa modiste ouvrit d'abord la bouche puis la referma aussitôt afin de se tourner sur son siège. Sa main attrapa rapidement la poignée d'une petite ouverture carrée, en bois, et qui donnait sur l'avant du véhicule. Elle chuchota au cocher ses paroles et sans défier ses ordres, il tourna aussitôt à une intersection.

Le trouble gagna immédiatement l'escorte qui la suivait. Pourquoi prenait-elle un autre chemin ? Ils avaient déjà pris du retard à cause de la roue arrière qui s'était brisée en cours de route. La violente secousse l'avait surprise autant qu'Enora mais lorsque son regard s'était porté sur le visage satisfait d'une domestique, ses doutes commencèrent par se mélanger dans son esprit. D'après son père, les membres de sa famille ne sauraient sa venue que lorsqu'elle aurait atteint le village du Puy. Il n'y avait alors que quelques heures de route avant d'atteindre la capitale.

Elle arrivait à entendre quelques bourdonnements, de par les fenêtres ouvertes, qui n'en avaient pas fini jusqu'à leur arrivés devant les portes de l'auberge.

Eliza releva la capuche de sa cape bleu nuit en laine et attendit qu'on lui ouvre la porte dans le silence le plus confus.

Pour ceux qui étaient habitués à l'accompagner dans ces trajets, ils savaient comment agir face à une élocution aussi réservée. Le cocher et Enora étant les seuls à avoir voyager avec elle, ils savaient donc que son silence n'était rien d'autre qu'une attente de réaction de leur part. Et puisque le personnel n'avait pas encore réagi, car ils attendaient sûrement que la jeune femme frappe le plafond de trois coups pour leur informer qu'elle était prête à descendre, la modiste agit à leur place.

Enora ouvrit la portière et descendit en première à l'aide du cocher. Ce dernier avait mis pied à terre en entendant la portière s'ouvrir. Les domestiques virent d'abord la chevelure rousse d'Enora, qui fut éclairée par les faibles lueurs du soleil couchant, puis quelques-uns essayèrent de tendre leur cou sur le côté afin d'entrevoir leur maîtresse. Tapissée dans l'ombre et vêtue d'une cape, ils n'eurent pas la chance de ne voir, ne serait-ce, qu'une parcelle de peau.

— Madame, intervint la voix grave du cocher, qui lui tendit sa main tout en se courbant en avant.

Ils se redressèrent vivement en attendant qu'elle sorte du véhicule.

— Nowel, salua-t-elle simplement en glissant sa main gantée dans la sienne.

Le souffle des serviteurs fut retenu à cet instant. Comme s'ils s'attendaient à la voir entièrement. Seulement, la déception fut grande. Eliza avait pris soin de dissimuler son visage pour le moment grâce à une grande capuche qui lui retombait juste au-dessus des yeux. Elle ne voulait pas les décevoir, elle n'était pas au meilleure de sa forme, ni assez présentable. La jeune femme souhaitait leur laisser une forte impression.

— Envoyez une missive au duc pour le prévenir que je passerais la soirée dans cette auberge, déclara Eliza en les plantant là, devant la façade du bâtiment. Et renvoyez-moi ce beau monde.

D'un geste totalement désinvolte, elle balaya du revers de sa main l'air à sa gauche en prononçant ces paroles.

Holy QueenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant