III.1

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Ses pieds enchaînés trainaient sur le sol poussiéreux du terrain délimité par un cercle en tissu rouge. La tête baissée, Echille grinçait déjà les dents en entendant seulement la musique que jouait l'orchestre des Troubadours. Il y avait à l'intérieur, de célèbres musiciens parrainés par la famille Leygnis et ils étaient les mêmes personnes à jouer à la cour impériale à ce qu'ils se disaient dans les couloirs de l'arène. Un monde bien impitoyable à ses yeux. Ses oreilles étaient attaquées de toute part par les hurlements hystériques de la foule qu'il avait l'habitude de voir sur le plus grand balcon de la bâtisse en pierre.

Un profond dégoût tira les traits de son visage. A chaque fois qu'il apparaissait aux yeux du public, l'impression de n'être qu'un animal était réelle. Il n'était qu'un amusement. Alors qu'il ressentit une vive douleur au niveau de sa mâchoire, le gladiateur relâcha la pression et la détendit petit à petit. Elle finirait par se briser tôt ou tard, pensa-t-il.

Soudain, le soldat l'avait trainé jusqu'ici depuis sa cellule s'arrêta, l'obligeant à faire de même. En levant ses yeux verts, Echille fronça des sourcils en le dévisageant. L'homme à ses côtés et bien plus armé que lui recula instinctivement. L'esclave émit un son qui avait l'air de lui déplaire. Son rire moqueur n'était pourtant pas fait pour séduire. Le voyant serrer des poings, Echille roula des épaules et bomba entièrement son torse nu et bronzé. Puis en secouant légèrement sa tête, il fit retomber quelques mèches brunes sur sa mine enragée. Serait-il capable de le frapper ? Le dernier soldat ayant réalisé cette action sur sa personne avait fini à ses pieds, le crane ensanglanté.

Tandis que son géôlier ne réagissait pas, l'esclave offrit son visage au public. A la vue des nombreux personnages se tenant en haleine sur le balcon en hauteur, le gladiateur n'eut qu'une seule envie : les étriper chacun leur tour. Il ne s'était pas attendu à avoir autant de spectateurs.

Un raclement de gorge retint son attention. Lorsqu'Echille plaça son regard sur le visage du soldat à ses côtés, il l'entendit lui dire :

— Le maître est là.

Ses pupilles verdoyantes se déplacèrent lentement sur une entrée à leur gauche. Le champion de l'arène en sortait, un sourire mauvais aux lèvres et une hache à la main. Fier d'être adulé par les répugnants spectateurs, il se mit à les saluer en secouant activement son bras dans les airs. Puis en joignant son index et majeur collés ensemble, il lécha le bout de ses doigts puis traça une ligne invisible sur son front pour marquer sa prochaine victoire. C'était sa signature, chaque gladiateur en avait du moins sauf lui.

Sans quitter des yeux la sortie entourée par les ténèbres, l'esclave repéra son maître Déon Leygnis, le second fils de la famille Leygnis qui entretenait ce sombre lieu. Dans son habituel accoutrement, -un costume trois pièces aux tons foncés où une broche avec l'armoirie de sa famille était raccroché à son gilet à carreaux- il les rejoignit rapidement à l'intérieur du cercle rouge dans lequel ils avaient pris place. Voir des nobliaux se rassembler dans cet endroit infame en portant des masques sans dissimuler leur statut ou le nom de la famille à qui ils appartenaient le poussait à arrêter de réfléchir. Leur raisonnement n'était bien sûr, pas cohérent. Par ailleurs, malgré les masques portés par ceux qui les entouraient, le champion de l'arène et lui-même n'en disposaient pas.

Avec les chaînes qui liaient ses mains, s'il avait eu la moindre chance d'approcher Déon, il les aurait passé autour de son cou. Il se mettrait à gesticuler mais avec la force de sa poigne, son maître se serait écroulé au sol en manquant d'air dans ses poumons. Et alors qu'il aurait resserré sa prise, il l'aurait regardé droit dans les yeux afin que son visage soit le dernier qu'il verrait avant de s'éteindre. Une scène si belle mais encore lointaine, que se passerait-il ensuite ?

La famille Leygnis enverrait leur bourreau : Thanos. D'après les rumeurs, il fût un temps où sa place était la même que celle qu'il occupait aujourd'hui, à combattre face à un adversaire dans cette arène. Sa rage et son ambition lui donnèrent l'opportunité de voir plus loin. Sa mutinerie fit réfléchir le chef de la famille Leygnis qui lui proposa une bien grosse rémunération en échange de ses compétences impitoyables. Il ne tuerait que pour cette famille et formerait les plus désireux à former une escouade de tueurs à gages pour eux.

Lorsqu'Echille le rencontrerait, lui proposerait-il de rejoindre son escouade ? Ou essaierait-il de le tuer ? S'il n'y avait pas une chose qui le retenait d'agir aussi impulsivement, il y a longtemps que le gladiateur aurait mis fin aux jours de Déon.

En parlant de ce dernier, le maître des lieux finit par s'approcher du grand cercle rouge dans lequel ils étaient tous proches. Il s'y arrêta juste devant, fixa le ruban à ses pieds puis passa par-dessus. Ensuite, Déon se dirigea au milieu du cercle et regarda les spectateurs du balcon afin de leur annoncer ces mots :

— Noble public, pour ouvrir le bal de ce soir je vous accueille avec un combat mémorable ! Notre champion encore invaincu depuis cinq longues années se prépare à combattre un esclave dont la réputation n'a de cesse d'augmenter à chaque victoire qu'il remporte. Je vous laisse donc découvrir Echille, anciennement connu comme le chevalier des Brumes. Je vous rassure, comme cette pièce est d'une importance capitale pour vous, très chers spectateurs, il n'y aura pas de combat à mort.

A la fin de son discours, Déon jeta un regard aux deux soldats qui avaient accompagnés les gladiateurs sur le terrain leur indiquant ainsi de détacher les chaînes qui les entravaient.

Une fois que celles d'Echille glissèrent à terre et provoquèrent ainsi un son aigu, il se retint de se jeter sur son maître qui venait tout juste de sous-entendre par le fait qu'il n'y aurait pas de mort qu'il serait vendu aux enchères à la fin de cette comédie. Bien sûr, le champion ne serait jamais vendu sauf dans le cas où il remporterait cette victoire. Peut-être réussirait-il à inverser les rôles et devenir le nouveau champion ?

Ce qui était sûr, c'était qu'Echille ne pouvait pas quitter l'arène ainsi.

Holy QueenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant