Appuyée contre le dossier du lit en bois, Eliza resta un moment dans cette position, les paupières closes. En attendant que les picotements au bout de ses doigts disparaissent, elle garda la bouche entrouverte.
Le vacarme au sein de l'auberge couvrait presque les pas de sa première dame. Elle était à la fois une domestique qui s'occupait de quelques corvées comme la changer et la coiffer et une dame de compagnie qui restait toujours à ses côtés même lors des soirées mondaines. Bien sûr, cette femme n'était autre que sa modiste Enora qui avait accepté de l'accompagner à Belzia, capitale de l'Empire.
Ce n'était pas pour l'infime confiance qu'elle plaçait en elle que la Navarres avait demandé à Enora de venir avec elle. Eliza avait deviné que derrière ce masque séduisant de la modeste habilleuse, elle possédait des compétences qui l'aideraient à honorer l'accord qu'elle avait passé avec son père.
En ouvrant petit à petit ses yeux, la noble dame commença par l'observer fouiller dans une sacoche en cuir dont elle ne se séparait jamais. Sa modiste en sortit quelques pièces en argent et les sépara sur la paume de sa main gauche avec son index droit, comme pour les compter.
— Tu n'auras pas besoin de payer ton diner. J'ai l'intention de descendre, déclara doucement Eliza en la fixant sans bouger.
Enora releva son visage où quelques mèches brunes retombèrent sur un côté de son visage, surprise. Elle lui sourit puis lui répondit sur un ton enjoué :
— Vous comptez vous rendre quelque part, madame ?
La Navarres acquiesça.
— Dois-je en informer le duc ou souhaitez-vous garder cela pour vous ?
— Il n'a pas besoin d'en être informé. Il le saura en temps voulu, Enora.
— Bien.
Sa première dame plongea les quelques pièces dans sa petite sacoche puis serra les lanières en cuir pour la refermer, ensuite, elle finit par la cacher à l'intérieur de son oreiller.
— Je vais vous trouver une tenue plus confortable, ajouta sa dame de compagnie en tirant une grosse malle placée entre deux lits.
Elle la laissa tomber dans un bruit sourd sur le plancher de la pièce et poussa un petit soupir en la regardant. Retroussant ensuite ses manches, Enora l'ouvrit grâce aux poignées placés sur les deux côtés de la valise. Elle n'eut pas de mal chercher une robe plus sombre et qui ne s'accommoderait pas d'un corset ni de jupons encombrants.
En la prenant dans ses mains, elle la lui présenta après l'avoir plusieurs fois agité afin de totalement la déplier.
— Heureusement que j'ai pensé à la prendre ! se réjouit Enora en la regardant.
— En effet, dit simplement sa maîtresse qui n'avait pas le cœur à la parole ce soir.
Peut-être qu'Enora pensait que la dose qu'elle lui avait administrée aujourd'hui avait été trop forte.
N'ayant pas quitté des yeux sa modiste, Eliza remarqua une expression inquiète sur sa mine.
— Je n'ai pas encore l'intention de mourir, Enora.
— Je le sais mais-...
— Nous ne devons pas tarder à y aller, la coupa la Navarres, en finissant par se glisser jusqu'au bord du lit.
Elle se leva ensuite afin de s'approcher de sa domestique. Sa main droite se posa délicatement sur la joue d'Enora. Brusquement, son pouce se positionna en-dessous de sa lèvre inférieure et son index juste sous son menton. D'un geste sec, elle releva sa tête afin qu'Enora croise son regard.
— Je croirais presque que tu te plais à mes côtés.
Elle la sentit se raidir entièrement.
Les yeux écarquillés, Enora finit par déglutir en fuyant le regard que la Navarres posa sur elle.
Eliza la relâcha complétement puis pivota sur elle-même. Les commissures de ses lèvres se soulevèrent presque en ayant aperçu son habilleuse dans cet état.
— Aide-moi à me changer, veux-tu, lui commanda-t-elle ensuite.
— Bien madame, souffla sa dame de compagnie.
Enora partit d'abord poser la robe qu'elle lui avait choisi sur le lit de sa maîtresse avant de revenir se placer derrière elle. Elle finit par déboutonner sa robe avant de délacer son corset. Ses mains tremblotaient légèrement, le cœur battant.
La Navarres ne lui ferait jamais confiance, c'était un fait qu'elle n'arrivait pas encore à accepter. Pourtant, l'admiration qu'elle éprouvait pour cette dame la poussait à chercher son affection. Enora n'oserait jamais lui avouer que c'était parce qu'elle aimait sa présence à ses côtés qu'elle avait accepté de l'accompagner. Eliza de Navarres la regarderait surement avec mépris, ou indifférence. Sa maitresse agissait toujours ainsi lorsqu'elle était témoin d'une marque d'affection. Comme si, recevoir de l'amour la répugnait.
La modiste se souvint de leur première rencontre. Une vieille gouvernante était rentrée dans la boutique de sa tante, un air sévère collé sur son visage ridé. En jetant un regard en arrière, une silhouette s'était déplacée dans l'ombre pour se tenir au milieu de la pièce, entourée d'étoffes et de deux ou trois mannequins. La vieille femme avait sonné la cloche pour que sa tante sorte de l'arrière-boutique pour les servir. En attendant, Enora était restée à les observer dans un coin. Des pupilles grises l'avaient ensuite fixé alors qu'elle était restée cacher derrière le comptoir en bois. Sa tante n'avait jamais souhaité qu'elle apparaisse devant les clients, surtout les plus nobles.
Enora avait été subjuguée par la prestance d'une jeune fille, certes un peu plus âgé qu'elle, mais elle savait qu'elle n'avait pas encore atteint l'âge de faire son entrée dans le monde. La gouvernante souhaitait renouveler sa garde-robe pour l'y entrainer justement.
Quelques années plus tard, sa tante mourut d'une maladie incurable et Enora prit sa place car la couture était son seul moyen de subsistance. Au départ, les clients réguliers furent réticents à l'idée de lui faire confiance. Une jeune fille qui venait d'atteindre sa puberté se permettait de les habiller, ils ne s'attendaient vraisemblablement pas à ce qu'elle développe un tel talent. Petit à petit, en redoublant d'efforts et en confectionnant de nouvelles toilettes, Enora sut se faire connaître. Les nobliaux de la campagne furent les premiers à faire appel à elle. Elle était une modiste si créative que les robes qu'elle cousait étaient uniques pour chacune de ses clientes.
— Enora ?
Elle sursauta brusquement en entendant sa maîtresse appeler son prénom. La Navarres semblait l'attendre depuis quelques minutes devant la porte de la chambre, entourée de sa cape.
Sans lui répondre, elle s'entoura elle-même d'une cape verte et se dirigea vers sa maîtresse afin de la suivre.
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Holy Queen
HistoryczneDans l'ombre d'une mort subite, des conspirations naissent. Au milieu d'une tragédie, l'amour se déchire. Pour gouverner, il faut de nombreux sacrifices. Haïr est exempté de raison, il ne suffit que d'un acte pour noircir le cœur. La cruauté surgir...