IV.1

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Aucuns esclaves ne valaient autant. Lui-même n'en valait pas autant. Echille fut aussi étonné que son maître du prix qui avait été crié depuis le balcon. Si Thanos avait été encore en vie, il n'aurait sûrement pas apprécié que sa valeur soit aussi faible qu'un simple esclave. Et puisque personne ne dépensait une somme aussi astronomique, le champion de l'arène était resté invendu jusqu'à sa mort.

— Au nom des Navarres, j'achète cet esclave pour la somme exacte de 500 000 dukas. Je ne reviendrais pas sur le prix, ne le négocierais pas non plus. Il vaut bien plus que cette somme mais je pense que Sir Leygnis, vous ne serez pas contre de me le vendre car son acte prouve sa désobéissance envers vous. Ne serait-il pas judicieux pour vous de vous en séparer avant qu'un drame ne se produise ?

La femme qui déclarait ses mots était visiblement résolue. Elle le voulait. Mais pour quelle raison ? La famille de Navarres ? Cette noble maison n'avait jamais gardé un esclave dans ses murs, ils étaient bien trop respectables pour qu'un misérable soit enchainé à eux de par un vulgaire contrat. Alors pourquoi une Navarres s'était sentie obligée de l'acheter à ce prix sans avoir hésité une seule seconde ?

Echille connaissait les Navarres uniquement parce qu'elle était l'une des familles les plus puissantes de l'Empire d'Adémar, que le prince héritier était soutenu par cette dernière et qu'aucuns membres n'étaient touchés par un quelconque scandale. Une famille aussi prestigieuse avait décidé de se mélanger soudainement à des individus de ce cercle. Quelle ironie.

Ses sourcils se froncèrent irrémédiablement avec toutes ses pensées qui fusaient dans son esprit.

— Madame, vous me faites un tel honneur en vous présentant en ces lieux que je ne saurais vous le refuser, répondit son maître.

Lorsque les yeux verts de l'esclave se mirent à décrire le visage de Déon, Echille découvrit une mine confuse derrière un sourire faussement hypocrite. Les lèvres de son maître étaient largement étirées, montrant des dents légèrement jaunies par le tabac, et ses yeux étaient plissés.

— Bien sûr, je ne puis m'attarder plus longtemps en ces lieux. Je vous serais reconnaissante si la transaction pouvait se faire rapidement, lui informa la jeune dame qui se tenait près des remparts, un éventail largement ouvert à la main.

Confus par cette demande, son maître n'y répondit pas directement. Il sembla y réfléchir avant de faire signe à un de ses soldats de s'approcher. Il lui murmura quelques mots. Ensuite, lorsque leurs regards se dirigèrent vers lui, Echille comprit que son maître avait demandé à son géôlier de l'emmener dans sa cellule pour se préparer à l'échange.

— Je refuse de quitter ces lieux ! s'exclama-t-il soudainement.

Echille fixa la femme en hauteur et serra des dents. Cette dernière n'était pas effrayée par le regard qu'il osa poser sur elle, au contraire, elle leva légèrement son menton et balança ainsi sa tête en arrière en écartant l'éventail qui avait caché la moitié de son visage. Il fut blessé par l'arrogance qu'il décelait dans son attitude.

— Pauvre fou ! Sais-tu à qui tu as à faire ? s'époumona Déon Leygnis en marchant brusquement dans sa direction, accompagné du soldat à ses côtés.

Echille ne lui répondit pas, il était plutôt prêt à l'attaque. En serrant la hache qu'il avait entre ses mains, il l'a brandi devant lui et se mit en position de défense tandis que la dizaine de soldats qui l'avait encerclé plus tôt, s'étaient mis à le menacer avec leurs épées.

— Je ne paierais pas autant pour que mon esclave soit davantage amoché, les interrompit la Navarres d'une voix tranchante.

— Arrêtez ! commanda finalement Déon en retenant sa frustration de prendre le dessus.

Cependant, il ne pouvait se permettre de laisser passer une telle chance. Le tuer ne reviendrait qu'à lui faire perdre davantage d'argent et de temps. Le blesser aussi d'après les paroles de la Navarres.

— Emmenez-le dans sa cellule.

— Je paierais également pour les soins, intervint la jeune femme.

Déon ne répondit pas. Si cela avait été une autre famille, il n'aurait pas laissé son autorité lui être volé de la sorte cependant si elle était Olivia de Navarres, il ne voulait pas risquer de la mettre en colère. Tout le monde était au courant que la princesse de Navarres obtenait tout ce qu'elle désirait et quiconque se permettait de la critiquer finissait par rendre des comptes au grand Cesare. L'héritier de cette puissante famille.

Il y avait pourtant une chose qui le dérangeait. Elle n'agissait pas par caprice. Ce n'était pas une décision prise à la légère au vu de la somme qu'elle était prête à verser et de la manière avec laquelle elle était intervenue pour lui proposer cet achat. C'était comme si elle était venue en ses lieux dans le but d'assister spécialement à ce combat. Et de l'acheter lui en particulier.

Devant ses yeux marrons, Déon aperçut son esclave se faire trainer par trois de ses soldats à l'intérieur du bâtiment. Ces derniers s'étaient jetés sur lui afin de le mettre à genoux puis ils l'avaient enchainé à nouveau afin qu'il soit plus facile de le contrôler. Bien sûr, Echille ne se laissa faire qu'une fois l'un des soldats eut l'idée d'appuyer sur sa profonde blessure pour le rendre coopératif. Une fois qu'ils disparurent, il décida de détendre l'atmosphère.

— Je vous en prie, messieurs dames, n'êtes-vous pas venus ici pour vous divertir ?

A ces mots, la musique qui s'était arrêtée au moment même où Echille avait retiré la vie du champion de l'arène recommença de plus belle avec une mélodie entrainante. Il semblerait que le public ait décidé d'oublier ce moment effroyable. Par ailleurs, la jeune femme qui avait rendu la tension encore plus palpable avait disparu du balcon.

Déon Leygnis comprit qu'elle ne resterait pas puisque la raison de sa venue était le chevalier des Brumes. Elle avait sûrement exigé à un de ses soldats qui sécurisaient les lieux de la diriger jusqu'à son bureau pour effectuer la transaction. Sans tarder, il commanda à ses soldats de continuer le programme de la soirée sans lui. Et il emmena avec lui son bras droit, afin de pouvoir faire sa rencontre.

— Sybel, venez avec moi.

Serait-il capable de captiver l'attention de la princesse de Navarres ?

Holy QueenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant