Chapitre 3

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Story Of My Life - One Direction

Maman travaille dans le salon lorsque j'entre. Elle est professeure des écoles. Même si le salaire de papa suffirait à nous faire vivre, elle a quand même tenu à trouver un travail ici. Ce fut long et très éprouvant, et elle nous l'a clairement fait savoir, mais elle a finalement réussi, un peu par miracle. Un poste s'est libéré dans l'école d'Eden. Elle s'occupera d'une classe de troisième année* à partir de la rentrée. Elle a l'air assez détendu, comme toujours. Maman a toujours été confiante – tout mon contraire -.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je regarde les fiches d'information de mes élèves. C'est fou, j'ai trois Liam. Je vais devoir leur trouver des surnoms. Ça a été avec Arya ? m'interroge-t-elle en plongeant son regard dans le mien.

Sa nature curieuse – je tiens ça d'elle – trahit probablement son inquiétude pour nous. Elle sait parfaitement que j'ai toujours eu du mal à me faire des amis. Les anniversaires sont devenus des fêtes familiales depuis la primaire, je ne demandais jamais à sortir les week-ends, ni les vacances scolaires, et je préférais passer mon temps libre enfermée dans ma chambre, un livre sous les yeux. Je pense qu'au fond, ça l'a toujours dérangée de voir que nous sommes très différentes. Maman est très sociable, ne doute jamais d'elle, et a plutôt un tempérament contrôlé et froid. Elle ne comprend pas comment je peux être si sensible et émotive. Je ne dis pas qu'elle est glaciale, mais elle ne laisse presque jamais transparaître ses émotions. Moi qui ai tant du mal à les contrôler, j'aimerais un peu plus lui ressembler, à certains moments.

— C'était sympa, Eden s'entend super bien avec Logan. Et sa soeur est géniale. On va dans la même école d'ailleurs.

— Oui, je sais, c'est une des meilleures écoles de la région, ton père me l'a beaucoup recommandée. Arya avait hâte de te rencontrer quand elle a su que tu avais son âge. Je suis contente que tu te sois trouvé une amie. Au fait, je t'ai laissé ta carte SIM à l'entrée. Ta ligne est déjà activée, tu peux déjà m'appeler.

Je tente de sourire, mais ça ressemble plus à une grimace. Je ne sais pas si c'est déjà mon amie. Si je pense comme ça, j'ai peur de tout gâcher. J'espère que maman ne me mettra pas la pression et ne tentera pas de s'interposer dans mes relations.

— Il faut qu'on aille faire des courses. Tu peux appeler ton frère ? Il est dans le jardin.

— Est-ce que je peux rester à la maison ?

J'ai l'impression d'avoir épuisé mon temps de sociabilité pour la journée.

— Non, j'ai besoin de toi. On doit acheter tes fournitures.

Je soupire et pars chercher mon petit frère. Ça ne servirait à rien de négocier. Nous sortons tous les trois de la maison et montons à nouveau dans la voiture.

— Eden, tu es attaché ? vérifie maman avant de démarrer.

Je n'avais pas fait attention tout à l'heure, mais c'est un véhicule automatique. Ça ne semble pas la déranger, et nous arrivons assez rapidement au supermarché, situé à la sortie de la ville. En apparence, il n'a rien de différent avec ceux de France, excepté sa taille. Il a l'air gigantesque, et ça m'inquiète. Je déteste le bruit lorsque je suis fatiguée, comme c'est le cas maintenant.

En entrant à l'intérieur, mes craintes se confirment. À quelques jours de la rentrée, les rayons sont pris d'assaut et le magasin est envahi. Je ne me sens vraiment pas à l'aise, mais je tente de faire bonne figure. Ma mère va s'énerver si elle se rend compte que je suis angoissée. Je sais qu'elle déteste quand je suis comme ça – c'est-à-dire faible -. J'essaie de me canaliser et de reprendre le dessus, en vain. J'ai la bouche tellement sèche que je pourrais engloutir trois litres d'eau, et mes mains tremblent tellement que je dois serrer le cadis de toutes mes forces.

— On va commencer par tes fournitures, m'informe-t-elle.

Cela ne fait qu'accroître mon angoisse. Je déteste les rentrées. Je commence même à suer alors que le supermarché est beaucoup trop climatisé. Je décide de rester près du caddie pour cacher mes tremblements, mais évidemment, elle veut que je m'investisse, ce dont je n'ai absolument pas envie.

— Fais un effort, ce n'est pas à ton petit frère de choisir tes affaires, me gronde-t-elle en déposant des copies dans le charriot.

— Ça me va, répondis-je calmement.

— Moi ça ne me convient pas du tout, crache-t-elle, agacée. Tu es grande, quand est-ce que tu vas arrêter tes caprices et tes sautes d'humeur comme ça ? Alma, tu te rends compte ? Tout un cinéma pour des cahiers et des stylos. Regarde-toi, tu transpires de partout. Et ne te mets pas à pleurer, parce q...-

Je ne la laisse pas terminer et je cours vers la sortie, incapable d'en entendre plus. Je marche sans m'arrêter et contourne tout le parking afin de pouvoir exploser à l'abri des regards. J'agis comme une bombe à retardement, comme bien trop souvent.

Je finis par m'effondrer derrière, près de la sortie des employées. Pourquoi est-ce qu'elle ne peut pas accepter le fait que ce soit compliqué pour moi ? Je n'ai pas choisi d'être aussi sensible et d'avoir une tête qui ne cesse de penser sans arrêt ou d'être désemparée au moindre changement. J'aimerais qu'elle me comprenne au moins une fois, qu'elle ne dise rien et qu'elle se contente juste de me rassurer. Mais bien sûr, ça n'arrivera jamais.

Je finis par m'asseoir contre le mur et fixe mes chaussures, les yeux embués. Je pensais qu'en venant ici, tout irait pour le mieux. Mais je crois que ça va être bien différent de ce que j'espérais.

— Tout va bien ?

Je m'essuie rapidement la joue et lève la tête. Je dois avoir le visage tout rouge et gonflé. De plus, je n'arrive pas à voir qui est la personne qui s'adresse à moi, car le soleil m'éblouit trop. Elle me tend la main et m'aide à me relever.

— Ça va, merci.

— Ce n'est pas l'impression que tu donnes, rétorque-t-il.

Je lui fais enfin face. C'est un garçon qui se tient à moi. Il me dépasse d'au moins une bonne tête et doit mesurer facilement les uns mètres quatre-vingts. Ses cheveux dorés et bouclés contrastent avec son regard. Des yeux bleus comme je n'en ai jamais vu. Il porte un sweat gris et un short en jean. Il sourit légèrement lorsqu'il se rend compte que l'on porte la même paire de baskets. Des Vans noir et blanc. Je baisse les yeux, mal à l'aise. Ou intimidée. Peut-être un peu des deux.

— Tiens, tu pourrais en avoir besoin. Tu as encore les yeux dans l'eau*, me lance-t-il en me lançant un mouchoir.

— Les yeux dans quoi ? répété-je.

Il rigole doucement.

— Tu es bel et bien française, affirme-t-il comme si c'était le scoop de l'année. Les yeux dans l'eau, c'est pleurer. Et tu dois être beaucoup plus jolie sans toutes ces larmes, conclue-t-il en me fixant.

Je finis par détourner le regard, mon téléphone me ramenant à la réalité. C'est ma mère. Je suppose qu'elle doit m'attendre à la voiture. Je coupe le son et me racle la gorge.

— Je dois y aller, merci pour le mouchoir, c'est gentil.

— Bienvenue*.

— Merci ?

Il me sourit une dernière fois avant de reprendre sa route, en direction du parking. J'attends qu'il se soit éloigné avant d'emprunter la même route. Je rejoins la voiture et m'assois à l'arrière. Mon petit frère attrape ma main pour me réconforter et je lui souris brièvement. Il est adorable, j'ai tellement de chance de l'avoir. Malgré ça, je sais que mes attentes viennent d'être réduites en fumée. Je pensais que ce nouveau départ au Canada serait plus facile, mais je me rends compte qu'au contraire, rien n'a changé, et que c'est à moi de faire des efforts pour continuer à vivre dans le peu d'harmonie qu'il me reste avec ma mère.


*Équivalent du CE2 en France.

*« pleurer », en français canadien.

*« de rien », en français canadien.

Neptune [en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant