Mars.
Il faisait toujours très frais, alors elle avait enfilé son grand manteau blanc avant de partir. Aujourd'hui, ils se retrouvaient tous à l'école, pour se montrer leurs avancées, pour s'encourager, pour essayer de se changer les idées.
Elle n'avait pas vu Jin depuis deux semaines. Younha était passé quelques jours auparavant. Et avec Jungkook, ils continuaient de s'envoyer des notes vocales toutes aussi désespérées qu'amusantes.
Des jours que personne n'avait vu son travail, que personne ne lui avait donné son avis, qu'elle s'était retrouvée un peu seule face à tout, face à ce qu'elle faisait, ce qu'elle créait, ce qu'elle était. Les premiers jours avaient été terribles, elle osait à peine faire un trait sans crever d'envie de demander à Jimin s'il approuvait.
C'est d'ailleurs pour ça entre autres qu'ils avaient décidé ensemble de ne plus passer autant de temps tous les deux.
"Il ne faut pas que tu fasses ce qui me plaît Jieun, même si c'est tes mains, ça ne sera pas ton art tant que tu n'accepteras pas de t'y lancer entièrement sans attendre qu'un autre regard reconnaisse sa beauté, guide tes pensées, valide tes idées."
Elle n'avait pas répondu, se contentant de regarder les pages et les pages couvrant son bureau. C'était loin d'être mauvais, elle le savait. Pourtant, elle n'en était pas particulièrement fière. Elle se disait que quelqu'un d'autre aurait pu faire de même, voire mieux, probablement. Elle se disait aussi que certains n'apprécieraient pas. Qu'elle risquait de déplaire, de décevoir, de ne pas faire l'unanimité.
Et à choisir, elle préférait décevoir avec quelque chose qui lui correspondait peu qu'avec quelque chose où elle aurait fait déferler tout ce qu'elle était.
C'est ce qu'elle avait compris en regardant toutes ces photographies qui plaisaient à Jimin, ces mots que Younha avait félicités, toutes ces photographies qu'elle trouvait banales et ces mots qu'elle avait déjà oublié. Elle était partagée entre le réconfort que tout ça lui apportait, et la rage de ne se reconnaître en rien. Oui, elle ne se sentait jamais mieux que lorsqu'elle était complimentée, que lorsqu'elle se sentait en sécurité, lorsqu'elle ne déviait pas de ce qu'elle se disait devoir faire. Et pourtant, elle avait l'impression de disparaître lentement sous les attentes des autres, d'oublier les rares idées qu'elle avait, de faire de son regard le simple miroir des yeux qui rencontraient les siens. D'enterrer Jieun sous des mots qui ne lui appartiennent pas, sous un monde qui n'est pas le sien.
Elle laissa échapper un rire. Un peu dramatique comme réaction pour une simple remarque. Mais elle avait eu besoin de cet électrochoc, sans doute. Elle avait repris toutes ses créations, lentement, et les larmes étaient montées, les sanglots avaient éclaté. Quand elle s'était calmée, elle avait tout mis dans un sac, qu'elle avait donné à Jimin lorsqu'ils s'étaient vus. Il lui avait souri, lui demandant s'il pouvait tout de même les garder, ce qu'elle avait accepté.
Elle n'en avait parlé à personne. Il n'y avait presque rien dans son sac aujourd'hui. Presque rien à montrer à ses amis qui eux n'arrêtaient pas de travailler depuis des semaines.
Elle s'était rarement sentie si libre, si elle. Et pourtant, c'était dur, elle n'avait jamais tant pleuré, tant souffert que ces jours qu'elle avait passé seule. Même seule, entre ces quatre murs, concentrée seulement sur elle, sur ses émotions, sur son travail, elle n'arrivait pas à faire taire ces voix qui lui murmuraient tout ce qu'elle avait peur d'entendre. Pourtant, l'idée qu'elle se faisait de ce regard toujours posé sur elle était la seule chose qui la calmait. Lorsqu'elle s'agaçait, qu'elle déchirait des pages, qu'elle commençait à s'acharner contre tout ce qui lui passait sous la main, l'idée que quelqu'un la voit prenait le contrôle de ses mains, de son corps, de son cœur, et tout redescendait violemment. Quand elle pleurait parce qu'elle n'y arrivait pas, qu'elle se lamentait, qu'elle désespérait d'être abandonnée à elle, de nouveau, les murmures, les rires, tout étouffait ses émotions et la ramenait à la réalité. Elle se laissait ensorceler par la peur, sans résister, parce qu'elle y trouvait du confort, une forme d'habitude rassurante, bien éloignée de tout ce qui jaillissait d'elle et qu'elle ne contrôlait pas.
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Que s'élève ta voix
CasualeAlors que Jungkook n'éprouve aucun plaisir à vivre, Taehyung a tout à découvrir. La rencontre de deux âmes perdues lorsqu'enfin leurs voix s'élèvent.