Chapitre 3- Clothilde

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Comme tous les lundis depuis deux mois, Clothilde ouvrit le courrier initialement adressé à Nathalie. Cette femme qui l'avait pratiquement élevée ne manquait pas de lui ramener son précieux papier dès l'instant qu'elle le recevait. Ne voulant éveiller aucun soupçon et sachant que les cancans allaient bon train dans la petite ville située près du château, Clothilde préférait que Nathalie dépose elle-même sa lettre à Ambroise le jeudi, ou le vendredi suivant. Au début, il répondait le jour même, confiant ainsi en retour sa missive à la servante, mais il avait ensuite souhaité prendre plus de temps et la faire envoyer par ses propres moyens.

Seule dans sa chambre, elle s'allongea à plat ventre sur son lit tout en pliant les jambes et les croisant derrière elle. Comme à chaque fois qu'elle ouvrait l'une des lettres d'Ambroise, son cœur battait la chamade et un sourire lui mangeait les lèvres.

Un carton tomba de l'enveloppe lorsqu'elle récupéra la feuille remplie de mots. C'était une invitation au château de Montluçon pour un bal qui se déroulerait le samedi suivant. Elle ne s'y attarda pas et commença sa lecture.

Chère Inconnue C.

Je suis heureux d'apprendre que vous profitez des beaux jours que nous avons depuis quelques semaines. Suite à votre lettre, je me suis obligé à me promener tout comme vous dans nos jardins, et je dois avouer que cela m'a fait un bien fou. J'ai été bien plus productif par la suite.

Comme vous avez dû vous en rendre compte, je vous ai glissé une invitation. Mes parents organisent un bal masqué ce samedi et j'ai osé espérer vous y retrouver. Si vous ne désirez toujours pas lever le voile sur votre identité, cela sera possible grâce à votre masque. J'ai pensé que cela pourrait jouer en ma faveur.

Dans l'attente de vous lire, je vous et j'espère sincèrement pouvoir vous rencontrer ce samedi.

Votre dévoué Ambroise.

Ps : Un indice sur votre réponse pour le bal et sur la tenue éventuelle que vous porterez sont les bienvenus...

Clothilde observa de nouveau le carton d'invitation quand la porte de sa chambre s'ouvrit et que sa mère entra précipitamment. Elle eut à peine le temps de camoufler les papiers dans son dos, qu'elle fut entourée de bras chaleureux et d'une odeur rassurante.

— Ma fille ! Tu m'as tellement manquée. Ton père ne m'a pas autorisée à revenir avant aujourd'hui, tu te doutes bien que je n'aurais jamais de moi-même laissé quatre semaines nous séparer.

— Mère ! Vous m'avez manquée aussi. (Clothilde soupira de contentement dans les bras de sa mère)

— Mais ! Que caches-tu dans ton dos ?

— Oh rien mère, s'affola Clothilde. Juste de vieux papiers. J'aime écrire mes pensées de temps en temps.

— Montre-moi ?

— Non ! Je...

— Une invitation pour le bal venant du Comte de Montluçon ?

— Mère, rendez-moi ça.

Chère inconnue... Dans l'attente de vous lire ! Mais depuis quand correspondez-vous avec cet Ambroise ma fille ? Ton père est-il au courant ? Bien sûr que non, sinon tu ne serais plus dans ce château. Mais... comment ?

— Mère ! Rendez-moi cette lettre je vous prie et je vous répondrai !

— Très bien, mais je veux toute la vérité.

— Évidement, souffla Clothilde. J'ai rencontré Ambroise..., enfin il m'a surprise observant le banquet à la soirée que Père avait organisé ici pour Élisabeth. Il ne m'a... pas vue entièrement et je ne lui ai jamais dit qui j'étais, rassurez-vous. Depuis, nous nous envoyons des lettres. Nathalie reçoit les réponses à son nom, et c'est elle qui lui dépose les miennes. Il ne sait pas qui je suis mère, et je sais qu'il ne l'apprendra jamais. Cela me fait juste du bien d'avoir un semblant de vie normale, vous comprenez ?

— Oh ma fille...

— Vous ne direz rien à Père hein ?

— Bien sûr que non. Mais tu ne peux plus continuer cette correspondance. Si le Duc venait à trouver ces lettres, je ne sais pas de quoi il serait capable. Et ce bal...

— Je sais...répondit Clothilde les larmes aux yeux. Je n'irai pas mère, mais cela me fait tellement mal. C'est un bal masqué, j'aurais pu être normale pour une fois. Personne ne m'aurait reconnue et personne n'aurait pu voir...

— Viens dans mes bras ma chérie. La vie est tellement injuste avec toi... Ce bal est masqué dis-tu ?

— Oui...

— Et quand a-t-il lieu ?

— Ce samedi.

— Ton père ne m'en a pas parlé, ce qui est assez étrange car j'accompagne toujours ta sœur lors de ces évènements et là, il m'a pourtant autorisée à partir pendant dix jours. Peut-être n'y a-t-il pas assez de beau monde pour lui...

Après un long soupire, sa mère reprit :

— Je vais surement le regretter, mais... on va appeler Nathalie. J'ai peut-être une solution.

— Vraiment ?

— Promets-moi de faire très attention ? Promets-moi que tu n'enlèveras pas ton masque et que tu ne dévoileras à personne ton identité  si tu t'y rends ?

— Promis mère. Je ferais tout ce qui vous semble approprié.

***

Habillée d'une somptueuse robe turquoise, les cheveux coiffés, les yeux maquillés sous son masque, Clothilde ne réalisait pas que dans quelques minutes son carrosse s'arrêterait devant le château de Montluçon. Sa mère avait tenu à l'accompagner. Sa fille ainée était la prunelle de ses yeux, et cela lui déchirait le cœur de la voir enfermée depuis son jeune âge. Elle lui espérait une belle vie, mais savait aussi que cela lui était presque impossible. Consciente que cette soirée était risquée à bien des niveaux, elle ne pouvait s'empêcher d'angoisser tout en se réjouissant de faire plaisir à sa fille. Clothilde n'était jamais sortie de l'enceinte du château depuis ses dix ans et elle ne connaissait donc que très peu le monde et les personnes extérieures. Son innocence quant à la cruauté de certains individus ne jouait pas en sa faveur pour ce soir, mais la Duchesse avait l'espoir qu'Ambroise fut un homme bien et la protège. Et qui sait, peut-être que l'apparence de Clothilde ne le dérangerait pas si un jour il venait à découvrir son visage. Peut-être que sa fille connaitrait l'amour, le vrai, contrairement à elle qui subissait son mariage arrangé. Malheureusement, elle ne pouvait en être sûre, et cela la rongeait de l'intérieur.

La voiture s'arrêta, mais aucune des deux femmes ne bougea d'un millimètre.

— Prête ma fille ?

— Je... Je ne suis pas sûre d'y arriver finalement.

— Bien sûr que si Clothilde. Tu es magnifique et je serai là. Tu as décrit ta robe et ton masque à Ambroise, je suis certaine qu'il va te reconnaitre et ne pas te laisser de la soirée. Et sinon, nous pouvons partir quand cela nous chante. Tu n'as qu'un mot à dire et nous rentrerons. Ce serait dommage de reculer maintenant alors que nous avons déjà pris de grands risques non ?

— Vous avez raison. Allons-y. Mais promettez-moi de ne pas vous éloigner de moi.

— Promis. Je ne serais jamais loin.

— Merci mère. Merci d'être toujours là pour moi.

Après une dernière embrassade, les deux femmes se sourirent et sortirent enfin avant de s'avancer vers l'entrée du château.


Apparences et révélationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant