Apparences et révélations

Chapitre 12- Clothilde

Clothilde fut accueillie à bras ouverts par les parents d'Ambroise. Elle qui n'avait connu que l'amour épisodique d'une mère, fut surprise de recevoir autant d'attention de personnes qu'elle ne connaissait pas.

Ambroise et Clothilde vivaient plutôt heureux dans l'enceinte du château, mais le temps paraissait vite long et Ambroise voulait que sa belle sorte de ses remparts. Si elle se laissait faire par son fiancé, elle serait tous les jours au village ou en balade sur les terres du futur Comte, mais elle n'était pas encore prête. Elle savait qu'au moindre pied dehors, le Duc apprendrait qu'elle s'était échappée du couvent et il serait là pour l'empêcher de révéler au monde son existence.

Elle passait donc ses journées avec sa mère et sa sœur. Elle se rapprochait d'ailleurs de plus en plus d'Élisabeth qui lui apprit qu'un homme lui plaisait beaucoup, malheureusement, cela faisait plus un mois et demi qu'elle n'avait pas pu le voir puisqu'elle était ici, à Montluçon. Elle lui avait bien envoyé deux lettres, mais chacune avait été sans réponse. Elle avait peur que la distance ne fasse oublier leur idylle au jeune homme. Clothilde était une oreille attentive à défaut de pouvoir lui donner des conseils.

En dehors de ces moments avec sa cadette, et quand elle le pouvait, elle restait près d'Ambroise dans son bureau lorsqu'il travaillait. Plusieurs fois elle lui avait posé des questions sur ses tâches et elle avait réfléchi avec lui à d'éventuelles solutions à ses problèmes. Elle se voyait très bien vivre ici, auprès de lui. Plus elle en apprenait sur cet homme, plus son amour pour lui était important. Il était la gentillesse même, en tout cas avec elle, car elle l'avait déjà entendu s'énerver contre des paysans à travers la porte, et elle préférait à ce moment-là être dans la bibliothèque attenante que dans le bureau. Ils passèrent ainsi trois semaines partagées entre l'euphorie de se voir tous les jours, mais aussi la crainte que le Duc d'Orléans découvre l'absence de Clothilde au couvent.

L'heure fatidique d'une éventuelle rencontre arriva tout de même bien vite : un bal, non masqué cette fois-ci, était justement prévu cinq jours plus tard et elle savait que sa famille avait été invitée. Sa sœur en avait eu vent quelques jours avant son départ d'Orléans. Affronter le monde extérieur et son père par la même occasion lui semblait insurmontable, mais elle savait aussi qu'il fallait mettre fin à la mascarade qu'était sa vie. Elle accepta donc d'accompagner Ambroise ainsi que sa sœur et sa mère. Le Comte et la Comtesse de Montluçon avaient aussi confirmé leur venue pour les soutenir dans le cas où la situation dégénérerait.

L'ambiance fut de plus en plus tendue au fur et à mesure que les jours passèrent et que ce fameux bal approchait, si bien que Clothilde réclama à Ambroise de la rejoindre toutes les nuits pour se sentir protégée au creux de ses bras. Certains pourraient la penser faible et incapable de vivre sans cet homme, mais elle n'avait que faire de ce genre de qu'en-dira-t-on. Elle avait vécu seule bien assez longtemps et les apparences l'avaient déjà forcée à se faire passer pour morte, elle n'était donc plus à cela près. Fini les faux-semblants, elle se promit de vivre sa vie comme elle l'entendrait à partir du moment où les mensonges de son père seraient réglés. Et si ce qu'elle voulait s'était vivre collée à son preux chevalier, alors elle vivrait collée à son preux chevalier.

Le regard que la société porterait sur ses actes ne lui importait peut-être pas, néanmoins être observé comme le monstre dont la traitait son père l'angoissait au plus haut point. Sans parler de ce qu'il se passerait une fois que la haute société serait au courant de son existence. Le monde allait-il continuer à croire les mensonges du Duc, ou au contraire punir ce dernier pour ses pêchers ? Elle espérait sincèrement que tout se règlerait sans trop d'encombres ni de sang. Elle voulait seulement que le Duc les laisse tranquilles. Qu'il n'accepte pas de reconnaitre Clothilde ne la dérangerait pas, et pour en avoir parlé à Ambroise, ce n'était pas son cas non plus. Le Comte avait donné son accord pour leur mariage même dans ces circonstances, alors titre ou pas, fille de Duc ou simple roturière, peu lui importait, elle voulait juste vivre sa vie normalement plutôt que de végéter dans un château.

Une boule au creux de son estomac ne faisait que grandir de jour en jour, d'heure en heure, plus ce bal devenait réel. Le jour même, elle ne put avaler le moindre bout de pain, seul un peu d'eau arrivait à franchir ses lèvres. Malgré le soutien de ses proches et de la famille de Montluçon, la peur accaparait le moindre centimètre carré de son corps.

***

Vêtue d'une jolie robe de couleur vert d'eau, parsemée de petites plumes cette fois-ci, elle était accordée au mouchoir dépassant de la pochette de son pilier, Ambroise. Ainsi, nul doute pour les autres participants de la soirée qu'ils étaient ensemble et repartiraient ensemble. Dans la calèche qui les conduisit au Château de Lansay situé à Bourges, Clothilde ne quitta pas les bras de son protecteur, sous le regard inquiet, mais aussi attendri des autres voyageurs. Tout le monde y allait de son petit encouragement, mais elle ne pouvait pas répondre tellement sa gorge était serrée.

Arrivée sur place, elle fut la dernière à sortir de la voiture.

— Venez ma douce, il ne vous arrivera rien, je vous le promets.

Une grande inspiration plus tard, Clothilde descendit les marches de la calèche conduite par Arthur, et avança dans la grande allée éclairée de lampions.

Ils étaient seuls sur le chemin de cailloux puisqu'ils avaient préféré arriver légèrement en retard afin qu'il y ait assez de beau monde et surtout des témoins si le Duc était bien présent et qu'il voudrait étouffer l'affaire.

Une fois les invitations présentées, un homme demanda qui il devait annoncer. La surprise dépeignait ses traits quand il entendit le nom de Clothilde, et le regard qu'il posa sur elle ne faisait qu'annoncer la couleur de ce qu'elle allait vivre dans les seconds à venir, mais en bien plus grande envergure.