Chapitre 6- Clothilde

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Clothilde resta enfermée dans sa chambre pour la quatrième journée consécutive. Sa mère ou Nathalie venait lui apporter de quoi manger et boire, mais rien ne passait. Renouer avec sa sœur lui avait fait un bien fou, mais Élisabeth avait dû rentrer à Orléans pour ne pas éveiller les soupçons. Depuis, ses pensées tournaient en boucle entre les années qu'elle avait perdue avec sa sœur et Ambroise qu'elle devait oublier. Elle n'avait jamais vraiment été amère face à sa malheureuse destinée, pourtant, après avoir entendu Élisabeth lui raconter ses journées et ses attentes face à la vie, et elle ne savait comment refaire surface.

Sa mélancolie repartit de plus belle quand Nathalie arriva avec une nouvelle lettre, la quatrième depuis le bal. Aucune d'entre elles n'étaient ouvertes, mais elles reposaient sur sa petite table de nuit près de son lit. Elle n'avait pas le courage de lire ce que le futur Comte lui avait écrit. Que ce soit des mots doux ou des reproches, elle savait que son cœur ne le supporterait pas. Elle ajouta celle que lui tendait Nathalie sur la pile, et retint ses larmes une nouvelle fois.

— Madame, Monsieur Ambroise attend une réponse de votre part.

— Je me doute Nathalie, mais il n'en aura pas. Pouvez-vous me laisser s'il vous plait ?

— Vous ne comprenez pas, rétorqua la servante mal à l'aise. Monsieur est en bas, dans le hall du château, et il attend votre réponse. Votre mère m'a autorisée à le laisser monter si vous étiez d'accord également.

— Comment ? Je... Il... Non il ne doit pas ! Mets-le à la porte. Si cela devait se savoir... paniqua Clothilde.

Nathalie prit congé, mais à peine quelques minutes plus tard trois coups résonnaient contre sa porte de chambre.

— Clothilde ! Ouvrez ! Je sais que vous êtes là. Je ne partirais pas tant que je ne vous aurai pas parlé, imposa Ambroise sur un ton qui se voulait sans appel.

— Clothilde ma chérie ? Ambroise veut juste que tu l'écoutes, ajouta sa mère de manière douce pour l'apaiser. Il partira si cela est ton choix juste après, il me l'a promis. Je vous laisse les enfants.

— Je... Dépêchez-vous de dire ce que vous avez à dire alors, et partez.

Le ton de Clothilde était à mi-chemin entre l'ordre et la supplique.

— Je ne vais pas le faire face à une porte, s'offusqua Ambroise.

— C'est ça ou rien.

— Mais pourquoi ? Je sais qui vous êtes désormais. Pourquoi vous cachez-vous encore ? Avez-vous au moins lu une seule de mes lettres ?

— Je vous avais demandé d'arrêter.

— D'accord, je vais arrêter.

— Vraiment ? s'étonna Clothilde.

— Je suis d'accord, mais dans ce cas, j'exige que nous nous voyions régulièrement.

— Je ne peux pas.

— Mais pourquoi ?

— Je ne vous apprécie pas, sortit sans réfléchir Clothilde.

— Balivernes !

— C'est pourtant la vérité.

— Dites-le-moi dans les yeux, et je vous croirais, tenta Ambroise.

— Non.

— Alors je resterais ici jusqu'à ce que vous sortiez.

— Vous aviez promis de partir.

— Vous ne m'écoutez pas, donc je ne pars pas.

— S'il vous plait... supplia Clothilde, sentant ses dernières barrières céder.

— Bon Dieu Clothilde qu'est-ce qui vous fait si peur ? s'énerva-t-il.

À bout de souffle et fatiguée de se battre, elle ouvrit la porte en grand et ferma les yeux, car elle ne voulait pas voir le dégoût dans le regard d'Ambroise.

— Voilà pourquoi ! Je suppose que vous allez enfin accéder à ma requête désormais.

Un long silence s'en suivit. Malgré ses paupières closes, elle savait qu'Ambroise était toujours en face d'elle et qu'il l'observait. Le côté gauche de son visage, plus précisément la large ligne partant de son oreille et allant jusqu'au coin de sa bouche, cette cicatrice énorme qu'elle ne pouvait camoufler, la brûlait sous le regard de l'homme en face d'elle. Lorsqu'elle entendit le parquet craquer et Ambroise bouger, elle baissa la tête et ses épaules s'affaissèrent, résolue à son triste sort.

Elle sursauta quand des doigts se posèrent sous son menton et lui relevèrent la tête. Les deux mains d'Ambroise encadrèrent ensuite son visage et il essuya les lignes humides de ses pouces. Elle prit alors une grande inspiration avant d'ouvrir délicatement les paupières. Ambroise se rapprocha encore un peu plus près et apposa son front contre le sien, le sourire aux lèvres. D'autres larmes coulèrent, mais de soulagement cette fois. Ambroise la prit alors dans ses bras et la serra fort contre sa poitrine. Clothilde déversa tout son chagrin, sa douleur, mais aussi ses espoirs. Elle agrippait Ambroise à la nuque et s'y accrochait comme si elle avait peur que celui-ci ne parte et ne l'abandonne. Quand ses jambes ne la soutinrent plus, il l'attrapa sous les genoux et la porta jusque dans sa chambre où il s'assit dans le fauteuil près de son lit. Clothilde resta un long moment, blottie contre lui, alors qu'il la berçait en lui caressant les cheveux dans la perspective de la calmer. Ses pleurs se raréfièrent enfin quand elle s'endormit la tête enfouie dans le cou du jeune homme.

Quand elle se réveilla, elle était allongée sur son lit, une couverture étendue sur elle. Elle se releva et observa la chambre, mais personne ne s'y trouvait. Elle retomba en arrière en ouvrant les bras en croix, ne sachant que penser des derniers évènements. Sa main trouva un papier plié en deux. Elle vérifia la pile sur sa table de nuit, les quatre enveloppes n'avaient pas bougé de leur place. Elle déplia alors la feuille et reconnut aussitôt la jolie écriture d'Ambroise.

Chère Clothilde,

Si j'avais pu, je vous aurais gardée contre moi jusqu'à votre réveil, mais des obligations m'en ont empêché. J'aurais tant aimé vous voir ouvrir les yeux et vous montrer à quel point je vous trouve belle aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur.

Je reviendrai demain en début d'après-midi, à l'heure de votre promenade dans vos jardins. Je nourris l'espoir de pouvoir vous y accompagner depuis tellement longtemps que si vous me le refusiez j'en aurais certainement le cœur brisé.

Je suis prêt à accepter tout ce qu'il vous sera possible de me donner : sourire, balade, amitié et même plus si affinité. Néanmoins, je saurais également me retirer si cela est votre volonté. Il vous suffira de me regarder et de me répéter les mots que vous m'avez confié derrière votre porte.

Je me languis déjà de vous, belle Clothilde...

Votre dévoué Ambroise.

Un poids énorme reposant depuis des années sur sa poitrine sembla s'évaporer à la lecture de ces mots. Un grand sourire vint étirer ses lèvres avant qu'elle ne se relève et accourt vers sa penderie. Qu'allait-elle bien pouvoir porter demain ? Elle n'en était pas sûre, mais si elle ne se trompait pas, elle allait vivre son premier rendez-vous avec un homme charmant et attentionné. Elle ne voulait pas penser à son père pour le moment, même si son ombre planait au-dessus d'elle. Elle se positionna devant la psyché, sa robe violette collée contre son corps. Pour la première fois elle se vit sourire, même la vue de sa cicatrice ne l'empêcha pas de s'émerveiller de la chance qu'elle avait. Quand la porte s'ouvra sur sa mère, elle courut la prendre dans ses bras pour tout lui raconter.


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