Assise dans la voiture aux côtés de sa mère et en face de sa sœur ainsi que la dame de compagnie de celle-ci, Clothilde ne pouvait empêcher ses larmes de couler. Sa mère lui ouvrit les bras et elle s'y blottit comme elle l'avait toujours fait lorsqu'elle en ressentait le besoin. Élisabeth avait tenu à s'assurer qu'elle rentrerait bien au château, d'où sa présence dans la calèche. Aucun mot n'avait encore été prononcé, mais cela ne saurait tarder.
Clothilde savait que cette soirée, qui avait pourtant merveilleusement bien débutée, sonnait le glas de sa relation avec Ambroise. Depuis deux mois, elle avait appris à le connaitre à travers ses lettres toujours douces et réconfortantes. En lisant ses mots, de légers fourmillements lui parcouraient le corps et lui réchauffaient le ventre. Elle avait d'abord pensé que cela venait du fait qu'elle bravait un interdit, avec un homme de surcroît, mais elle ne se rappelait pas avoir ressenti de tels phénomènes en parlant au fils de l'une des servantes, ou même au jeune cuisiner récemment engagé. Pourtant, rien que de penser à Ambroise lui procurait des sensations exquises qu'elle devait maintenant oublier.
Le futur Comte semblait être un homme intelligent, sûr de lui, mais doux à la fois, soucieux de son peuple ainsi que de la vie de ses sujets. Il lui avait parlé de la volonté de ses parents à le voir marié prochainement, mais qu'il ne voulait pas choisir la première jolie jeune femme qui croiserait sa route. Il avait su la toucher au plus profond d'elle en lui racontant ses joies, ses peines, ses envies et la vie qu'il espérait remplie d'amour et même d'enfants.
Clothilde savait qu'il lui serait impossible d'entretenir une relation plus qu'amicale avec Ambroise, pourtant elle s'était mise à rêver d'une vie auprès de lui. Ses nuits étaient envahies d'amour et de promesses, alors que ses réveils la replongeaient invariablement dans la réalité une fois qu'elle se posait face à son miroir.
La voix de sa sœur la sortit de ses pensées :
— Comment avez-vous pu manigancer ceci mère ? Vous savez très bien qu'exposer Clothilde mettrait en danger notre secret.
— Oui, je le savais. Mais ne penses-tu pas que ta sœur aussi a le droit de vivre normalement ? Depuis son accident, elle ne fait que se cacher et vit recluse au château. Aimerais-tu être à sa place ? Seule, sans compagnie amicale, sans vie sociale, et sans futur ? Je ne comprends pas ce que tu lui reproches.
— Ce que je lui reproche ? s'écria Élisabeth. Je ne reproche pas grand-chose à ma pauvre sœur, Mère. C'est plutôt à vous que j'en veux. J'ai certes une vie surement bien meilleure que la sienne, mais contrairement à elle je n'ai jamais connu l'amour d'une mère. Pas une seule fois vous ne m'avez consolée comme vous le faites en ce moment même avec Clothilde. Pas une seule fois nous avons passé une après-midi à discuter de tout et de rien, de mes amis ou de mes prétendants. Je ne me rappelle pas d'une seule fois où nous sommes allées me choisir une robe de bal, alors que je suis persuadée que vous avez donné votre avis sur celle que porte ma sœur.
Un lourd silence suivit la tirade d'Élisabeth. C'est finalement Clothilde qui reprit la parole :
— Je suis désolée Élisabeth. Je n'ai jamais voulu te priver de notre mère, et si par ma faute cela a été le cas j'en m'en excuse. En aucun cas je ne veux que tu souffres de ma situation. J'ai toujours espéré qu'un jour nous pourrions être amies toutes les deux, mais les rares fois où tu venais au château, tu m'évitais. Je comprends mieux pourquoi maintenant, mais sache que cela n'a jamais été volontaire. Mère était la seule personne à venir me voir, et je l'ai surement trop accaparée. J'aimerais tellement que nous soyons de nouveau proches toutes deux, comme quand nous étions petites. Tu me raconterais ta vie à Orléans ainsi que celle de notre petit frère. J'ai tellement mal de ne pas le connaitre et de ne pas pouvoir lui parler et il en est de même pour toi. J'ai toujours rêvé que tu viennes passer quelques jours avec moi et que tu me parles de tes amies, de tes sorties, de la vie en général. Je n'aurais jamais le droit à tout cela, alors si un jour tu me pardonnes et que tu me donnes l'occasion de vivre par procuration à travers toi, j'en serais honorée.
— Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ? Nous étions pourtant si proches avant ton accident.
— Père m'a empêchée de te parler dans un premier temps. Je pensais qu'en grandissant, tu reviendrais vers moi, mais cela n'a pas été le cas.
— J'ai toujours pensé que tu m'en voulais de prendre ta place auprès de Père. Que c'était désormais à moi que revenait le futur titre de Duchesse et que tu me le faisais payer en me privant de ma mère. Je t'en ai tellement voulu de me laisser toute seule et de ne plus me donner de nouvelles. Ma grande sœur me manquait, mais les rares fois où je suis venue comme tu dis, j'avais interdiction de te voir. Père m'a toujours dit que tu lui demandais de m'empêcher de te déranger.
— Père t'a menti Élisabeth. Tu aurais dû venir.
— Et toi ? Pourquoi ne l'as-tu pas fait ?
— Pour que tu aies peur de moi ? Regarde-moi, Père m'a fait la même requête à ton sujet. Il ne voulait pas que tu fasses des cauchemars en voyant le monstre que j'étais devenue, me disait-il.
— Mais tu n'es pas un monstre !
— Pourtant tu as dit toi-même à Ambroise qu'il ne voudrait plus de moi s'il me regardait vraiment...
— Je... Pourquoi Père a-t-il été si cruel avec nous ? Il m'a privé d'une sœur et d'une mère et il t'a privée de ta vie...
— Me pardonnes-tu Élisabeth ?
— Je n'ai rien à te pardonner, mais toi, à quel point m'en veux-tu ?
— Je ne t'en veux pas petite sœur. Nous avons toutes les deux subi les mensonges de Père, mais promets-moi que c'est terminé, je t'en prie.
— Oui bien sûr. Que décides-tu pour Ambroise ? J'ai tout gâché c'est ça ?
— Cette relation était vouée à l'échec de toute façon. Au moins tu m'as permis de couper court avant que cela ne me fasse plus de mal.
— Rien n'est perdu ma chérie, affirma leur mère. Je suis sûre qu'Ambroise voudra te revoir.
— Il ne le faut pas mère. Qui sait ce qu'il se passera quand il découvrira mon vrai visage... Je ne veux pas que Père nous punisse plus encore...
— Mais pourquoi Père fait-il tout cela ?
— Les apparences Élisabeth. Nous ne pouvons pas nous plaindre de vivre dans la haute société, mais cela à un prix. Le paraitre est bien plus important pour un Duc que ses sentiments ou ceux de ses proches. C'est aussi de ma faute si vous vous êtes éloignées toutes les deux. J'aurais dû m'interposer dans les décisions de votre père, mais j'avais tellement peur qu'il m'interdise de te voir Clothilde. Je suis tellement désolée.
Le reste du chemin fut rempli d'excuses et d'embrassades. Une fois l'abcès crevé, les deux sœurs ne voulaient plus se quitter. Elles passèrent leur nuit ensemble à essayer de rattraper le temps perdu.
VOUS LISEZ
Apparences et révélations
RomanceNouvelle à retrouver sur Fyctia pour le concours Lords & ladies. Clothilde, premier enfant du Duc et de la Duchesse d'Orléans était promise à un bel avenir. Mais alors âgée de dix ans, un accident tragique vient tout remettre en question. Déclarée m...