Mot de fin

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Ca y est, j'ai fini d'écrire Monstrueux.

J'ai commencé la publication en Août 2020 et l'histoire prend fin en Février 2021. Plus de six mois de taf. Je suis un petit peu fière de moi, même si c'est passé hyper vite.

Ca faisait très longtemps que je voulais écrire une histoire avec des collégiens ; mes plus vieux carnets de notes sont encore plein d'embryons d'idées et de personnages , basés sur mes propres expériences d'ados.

En les relisant, je remarque que j'ai eu du mal à trouver ce que je voulais raconter au début. J'avais envie de parler de harcèlement scolaire mais je ne trouvais pas l'angle juste : Je ne voulais pas romantiser la relation harceleur/victime mais je voulais l'aborder quand même, je voulais parler du rejet et de l'isolement mais c'était pas clair non plus...

Et puis, entre le moment où j'ai commencé à y penser et la concrétisation de Monstrueux, j'ai été diagnostiquée autiste. Comme je l'évoque dans mon autre note, c'est arrivé très tardivement dans ma vie mais ça a totalement changé ma vision du monde et de ma propre personne. Ca apportait des centaines de réponses et des explications à pas mal de choses. Ca m'a aussi permis d'analyser ce que j'avais pu subir à l'école avec une nouvelle grille de lecture. Depuis, je me suis pas mal renseignée sur tout ce qui concerne le sujet de l'autisme et plus particulièrement les luttes sociales pour les droits des personnes handicapées – appelées luttes anti-validistes – et c'est ce qui m'a permis de ressortir ce projet : une histoire pour les personnes dites neuroatypiques, par une meuf neuroatypique.

Je savais qu'il fallait que je raconte tout ça ; le fait de sentir en marge et d'avoir peur de ne pas être assez bien, de se sentir complètement nul·le à côté des autres, de rechercher l'acceptation à n'importe quel prix, de ne jamais être pris au sérieux sur les souffrances vécues, d'avoir peur des remontrances malgré les efforts, etc. Je voulais écrire une histoire où des ados comme moi, paumés et bourrés de culpabilité, se reconnaîtraient. Je voulais qu'à la fin iels se sentent un peu mieux dans leurs pompes.

Parce qu'en vérité, des histoires avec des ados autistes/neurodivergents, il y en a des pelletées. Mais elles ne sont pas pensées, ni écrites pour nous. Ou par nous. Elles sont toujours semblables : les personnages ne sont rien d'autres qu'autistes, ils sont secondaires à l'histoire et sont un poids pour leur parent/frère/sœur ou n'importe qui de leur entourage, ils doivent s'intégrer au monde, sortir de leur bulle, apprendre l'amour ou l'amitié et surpasser leur différence. A la fin de ces histoires, le but est toujours que le lecteur neurotypique valide se dise : "Oh, quelle belle leçon de vie !"

Personnellement, non. Mon but, c'était de foutre un bon coup de pied dans ces idées reçues et de dire : niquez-vous, les personnes neuroatypiques sont très bien comme ça, ils n'ont pas à se torturer et à supprimer leur fonctionnement pour vous faire plaisir. Il n'y a aucune honte à avoir et nous ne sommes pas des poids. J'en ai assez de la tolérance polie qu'on veut bien nous manifester sous couvert d'un misérabilisme crasse. Je ne voulais que mes personnages se sentent révoltés par ça, par l'idée qu'on ne les voit que comme des objets. Il y a beaucoup de personnages handicapés dans les livres, mais rares sont ceux qui brandissent le poing.

J'ai essayé de faire ça avec Kris, qui passe de la peur à la colère au fil de l'aventure. Avec Vince, j'ai choisi le côté le plus négatif, celui du personnage résigné, qui se plie aux exigences extérieurs et qui joue le jeu de ses bourreaux pour se faire bien voir d'eux. J'ai aussi fait ça, dans mon parcours, et je le regrette amèrement. Qui sait à combien d'amitié sincères et de soutiens j'ai renoncé à cause de ça ? Par peur de me retrouver de nouveau au plus bas de l'échelle sociale. Vince, c'est un symbole de mes anciennes et anciens bullies, mais c'est aussi le coup de pied aux fesses que je voulais me mettre à moi-même pour mes propres erreurs.

D'ailleurs, concernant le harcèlement scolaire dont je déplore qu'on l'appelle comme ça, ça ne désigne rien de précis, en anglais il existe "bullying" qui est beaucoup plus adéquat et j'espère que le français va se l'approprier – j'ai choisi de raconter ça de cette façon, avec une rédemption maladroite et une vraie discussion entre les deux protagonistes parce que j'aurais moi-même voulu comprendre pourquoi ma bully, dont Vince est inspiré, faisait ce qu'elle faisait. Je doute fort qu'il y ait eu une autre raison que "pour se valoriser elle-même" mais on ne parle jamais de la responsabilité des harceleurs. Les questionnements ne sont jamais tournés vers elleux, ils ne sont jamais remis en question. Pourtant, c'est d'eux que vient le problème : c'est elleux qui pourrissent la vie. Ce sont des individus importants et très présents dans la vie de beaucoup d'ados, il est temps de remettre l'église au centre du village et de pointer le projecteur sur eux. Les victimes n'ont pas à se justifier ou à prendre la charge mentale de ce qu'on leur fait subir. Aussi, j'ai choisis de mettre en scène le moment des excuses parce que je trouve ça cathartique. Mais ce n'est pas une injonction à pardonner de ma part, si vous êtes incapables d'excuser vos agresseurs, c'est tout à fait normal et jamais personne ne doit vous dire comment avancer.

Evidemment, je n'ai pas pu parler de tout et j'ai choisi de garder les diagnostics des personnages dans le flou parce que, dans les années 2000, la situation était évidemment pire qu'aujourd'hui et parce que c'est une réalité à laquelle on est souvent confrontés : on peut facilement passer en travers du filet et ne jamais être identifié, se faire balader par des médecins ou des charlatans, subir les maltraitances des prophètes de la normalité, ne jamais trouver de réponse à un mal-être et des difficultés pourtant bien présentes qui mériteraient des aménagements. Les troubles dys de Morgane, les manies, les routines, les intérêts spécifiques, les hypersensibilités de Kris, le masking* de Vince, tout cela est là pour parler à un maximum de gens, pour rassurer. C'est ma façon de vous dire : "Eh, je suis passée par là, je sais. Vous n'êtes pas tout seuls et vous avez le droit de gueuler pour qu'on écoute."

Monstrueux ne reflète pas la neurodivergence dans son intégralité, ce serait impossible, je parle de ce que je connais – c'est pour ça qu'il faut encore plus d'auteurices concerné·e·s, que les points de vue se multiplient et soient visibles – mais si ça peut soulager, au moins un peu, et permettre à mes adelphes de se sentir compris et soutenus, alors j'aurais réussi ma mission.

Et bien sûr, au delà de tout ça, j'avais très envie d'exorciser toute la rancœur que j'avais à l'encontre de cette période de ma vie. Le collège, voir la scolarité en général, a toujours été synonyme de calvaire pour moi, il était temps que je me venge et que je lui apporte un peu de magie infernale pour sublimer tout ça. A l'époque de mes 14 ans, quand j'étais en cours, à me morfondre, je regardais par la fenêtre et j'imaginais que des monstres débarquaient sur le toit du couvent qui me servait de bahut (oui, le collège de l'histoire est inspiré du mien) et saccageaient tout sur leur passage. Je les voulais gigantesques et invincibles, prêts à rentrer dans les salles de classe pour faire voler nos tables et s'en prendre aux élèves qui me martyrisaient.

J'avais oublié ce vieux fantasme mais je crois que je lui ai rendu justice. Monstrueux m'a exaucée, si je l'avais lu à l'époque, je pense que j'aurais apprécié.

Law Esculape

MonstrueuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant