Le voyage

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Ça y est ! Une occasion de m'évader, d'oublier les soucis m'assaillant, de rafraîchir mes méninges, bref de flâner : c'est mon retour au village !
Après quelques années lancinantes, de dur labeur, sans revoir la famille, les amis, en gros tout du village, me voilà prêt pour le retour.
Pour cela, je fis gaiement mes bagages, et cette fois c'était différent car je n'avais nullement le sentiment d'abattre une tâche.
Un jour avant mon départ, je fis un tour dans certains magasins histoire d'apporter quelques présents à la famille, aux amis et bien sûr à ma bien-aimée Kadi que je n'avais pas revue depuis belle lurette. Ensuite je fis le lèche-vitrines dans les magasins les plus chers et rentrai chez moi.
Je finis de préparer mes affaires et me reposai pour être frais et dispos le lendemain pour mon voyage.
Le jour J, aux aurores, je fis ma toilette, m'habillai et mangeai quelque chose vite fait pour réveiller mon estomac. Ce jour-là j'étais moi même et ça me rappelait mes années passées au village. Mon style vestimentaire était le suivant : Un boubou complet de wax*(En Afrique, tissu de coton imprimé de qualité supérieure), mes sandales préférées à moitié fermées, de couleur blanche, qui m'avaient été offertes par mon père avant de venir et pour couronner le tout je me suis coiffé d'une chéchia de la même couleur que mes sandales.
Mon visage était innocemment brillant comme celui d'un ange, même si cette brillance était plutôt due à un excès de pommade. Sur ce visage, se voyait une jubilation, une humeur badine, qui montrait à quel point j'étais heureux à l'idée de rentrer chez moi.
Je pris mes bagages à savoir un sac en bandoulière, une grosse valise, un trolley que je trimballai avec moi tout en me dirigeant vers la gare.
Arrivé, une immense foule l'animait, certains trains étaient déjà en place, parés pour le départ; des policiers sur le qui-vive; certains passagers attendant leurs départs et d'autres se déplaçant tous azimuts en cherchant leurs voies.

A la bonne heure ! Après quelques minutes d'attente, j'entendis la voix annonçant le départ de mon train et ce malgré le brouhaha des passagers.
Je n'attendis pas plus longtemps, je rentrai, déposai mes bagages et m'installai confortablement sur mon siège, avec un peu de jus d'orange, histoire de me déployer la gorge :)
Dans le train on put remarquer plein de choses : des commerçants transportant des colis, certains du riz et d'autres des poissons...des personnes de toutes tranches d'âge : des vieilles personnes avec leurs cannes dont certains, quelque peu fatigués sûrement, dormaient en ronflant si fortement qu'on entendait plus le klaxon du train tandis que d'autres bien éveillés bouquinaient tranquillement en oubliant le monde extérieur qui les entourait; des jeunes écoliers rentrant pour les vacances; des femmes ayant leurs bébés dans la main : certains agitaient leurs mamans avec des vagissements intenses et itératifs tandis que d'autres tétaient aisément les seins des leurs comme si de rien n'était.
Le train était lent comme une tortue avec des arrêts brusques. Aux correspondances, des marchands de tout type, venaient proposer leurs produits: des fruits, des légumes, du lait, des colas...Ces marchands évitaient à tout prix de rentrer pour ne pas que le train ne parte avec eux donc faisaient leurs ventes par les fenêtres et dire que certains individus, malintentionnés qu'ils soient, profitaient de cette liberté pour voler ces pauvres qui vivaient au jour le jour de ces ventes-là. Ce qui était sûr, un long voyage m'attendait mais je ne vis point cela car mon côté optimiste et enthousiaste dominait largement sur le côté pessimiste et je n'imaginais que mon arrivée.
De par la fenêtre, on pouvait observer de vastes forêts remplies de bosquets, un ciel couvert de nuages en formes d'asperges... J'étais très pensif mais j'avoue que ces pensées étaient quasiment envahies par ma bien-aimée Kadi.
Je passai un bon moment comme ça, plongé dans mes pensées que tout d'un coup je m'endormis. A mon réveil, les larges bosquets furent remplacés par des poteaux électriques, des maisons...nous étions arrivés à la gare de Bamako, la destination finale du train : tous les passagers descendirent, chacun en récupérant ses affaires y compris moi. Je partis alors m'installer sur un banc en attendant mon oncle qui était censé venir me chercher.
Bigre ! J'entendis soudainement un grand vacarme venant de la station d'arrêt du train, ma curiosité de haut niveau qu'elle soit, ne me permettait pas de rester immobile et indifférent. Je me précipitai alors pour aller voir ce qui se passait. Je fus lent comparé aux badauds qui formaient déjà presqu'un cercle autour des deux bavards. En effet, un litige se produisait entre un apprenti chauffeur et une jeune demoiselle qui ne retrouvait pas une de ses affaires.
-Dame: prenti kai*(Apprenti chauffeur)! Il me manque des affaires, un sac plus précisément, que dois-je faire ?
-Prenti kai: Grobinai* (appellation donnée aux jeunes demoiselles) il n'y a plus d'affaires ici, lui dit-il avec un ton très violent.
-Dame: Et pourtant je l'avais laissé près de mon siège mais j'étais aux toilettes avant l'arrivée du train dans la gare, et à ma sortie il n'y était plus. Il se peut que quelqu'un l'ait pris par inattention.
-Prenti kai : Tchai a kai Allah kama saaa* (fais à cause de Dieu), je ne suis point une caméra cachée, lui dit-il avec un ton encore plus violent qu'avant.
-Dame : Ehh prenti kai, er dabo ka kounan dai (expression en bambara disant que tu parles mal, que tu es sarcastique)
-Prenti kai: Dia i ma oun noumbo nainai ohh* (un autre sarcasme pour répondre à la dame)
-Dame: Trêve de bavardages inutiles, dis moi s'il te plaît comment dois-je procéder pour la déclaration de la perte de mon sac ?
L'apprenti chauffeur s'écria : « fiche moi la paix ou ça va mal se tourner » et fonça sur l'innocente demoiselle dans le but de la frapper.
-Dame: Que t'ai-je fait ?! Djaaa* (interjection en bambara signifiant ici "Donc", "apparemment") c'est vrai ce que le gens disent sur vous les apprentis chauffeurs, vous êtes des aigris wallaye* (juron en bambara).
-Prenti kai : Laisse moi tranquille ou je te logerai mon pied quelque part, d'accord !? D'accord !? Est-ce que tu m'as compris !?
-Dame : Moi ?! Ne t'avise plus jamais de m'insulter iyamaiii* (un terme bambara signifiant "est-ce tu as entendu ?" Ou "est-ce que c'est clair ?"
-Prenti kai : Qui es-tu pour m'intimider ?! Qu'est-ce tu peux me faire ?
Et fonça sur la dame, lui flanqua une violente gifle sur la joue gauche, voulant donner une autre gifle sur la joue droite car n'étant pas satisfait, il trébucha, la dame profita de ce moment opportun en saisissant sa main, il la lui tordit sur son dos, le bascula, l'étala à terre et commença à lui donner des coups de poing semblables à ceux de Mohamed Ali*(un boxeur américain évoluant en poids lourds et considéré comme l'un des meilleurs boxeurs de tous les temps) sur le ring. En vrai, cela m'étonnerait que la jeune dame ne soit pas maître d'un quelconque art martial. L'apprenti chauffeur, lâche qu'il soit, n'hésita pas à appeler au secours. La dame continua à lui donner quelques bonnes baffes avant l'intervention des badauds qui regardaient la scène avec plaisir sans intervenir.
Le chauffeur du train vint, présenta ses excuses à la jeune dame et l'informa que son sac avait été ramené par quelqu'un qui l'avait en effet pris en le confondant avec le sien.
En fait, les apprentis chauffeurs sont pour la plupart des cas, reconnus par leur irrespect, leur sang chaud que les gens interprètent souvent de prise d'excitants.
Fasciné par cette scène et avec le sourire aux lèvres (un sourire qui se coupait à chaque fois que je croisais le regard du jeune apprenti car contrairement à la dame, j'étais loin d'être un pratiquant d'art martial). Mais en même temps, il me faisait pitié car je n'aurais pas aimé être à sa place après une humiliation pareille.
Je regagnai mon banc, et à peine assis, je vis mon oncle arriver.
Après une éternité de salutations chaleureuses, je pris mes affaires et nous partîmes ensemble chez lui où je devais rester quelques jours avant de rentrer au village.

Le retour au bercailOù les histoires vivent. Découvrez maintenant