Kadi, toujours Kadi et encore Kadi !

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La foule m'accompagna jusqu'à la demeure familiale. Sur la route, je fus assailli de questions. Chacun voulait savoir ce qui m'était arrivé au cours des années écoulées. On m'interrogeait sur le Sénégal, les gens que j'avais côtoyés, leurs cultures et mais aussi la mer, les plus petits ne se privèrent guère de me demander si elle est bien salée comme on le dit bien. L'auditoire était si houleuse que je ne vis point le temps passer.

Arrivés devant le portail, les accompagnateurs rentrèrent chez eux. J'eus à ce moment l'occasion de contempler la maisonnée qui m'avait tant manquée et qui me rappelait ma douce et tendre enfance. Tout était quasiment pareil : les mêmes cases en banco coiffées de pailles alignées le long de la cour et le tout entouré d'une murette elle-même en banco à la taille d'un nain. Les hommes étaient tous assis sous un hangar implanté au beau milieu de la cour, les femmes quant à elles, assises sur des tabourets en bois, formaient un cercle autour de foyers en argile - qui jouent le même rôle que les fourneaux ou les plaques électriques de l'Occident- alimentés par des morceaux de bois enflammés et sur lesquels étaient posées des marmites, qui au contact de la flamme émanant des bois, dégageaient une fumée similaire à celle d'un train.
Cette atmosphère aussi silencieuse et apaisante se faisait couper de temps à autre par la cohue indescriptible des enfants et animaux domestiques.

Je passais un bon quart d'heures auprès des femmes pour des litanies de salutations interminables puis je rejoignis les hommes c'est-à-dire mon père qui était installé dans un hamac, avec ses quelques frères et mes frères aînés qui eux, étaient sur des chaises en bois à la forme d'une croix.
Mon père, tout content de me revoir - comme tous les autres d'ailleurs - se releva de son hamac et me céda une place à ses côtés. Je subis les mêmes litanies et répondis vraisemblablement aux mêmes questions. Je n'eus de répit que lorsque la nourriture fut apportée.
Une des mes belles-sœurs l'apporta et une autre la rejoignit avec de l'eau pour se laver les mains que l'on appelle "Tikè ko dji" en bambara.
Chacun se lava les mains par ordre d'âge, en commençant par mon père qui était le plus âgé de nous tous jusqu'à moi, le plus jeune homme de la maisonnée, le benjamin pour faire court.

En effet, dans plusieurs pays en Afrique, notamment au Mali, le repas se mange en groupe, à la main et dans le même récipient. Cette pratique, très ancienne soit-elle, symbolise l'union et inculque tant de bonnes valeurs.

- "D'abord le fait de tenir les yeux baissés en présence des adultes, c'est apprendre à se dominer et résister à la curiosité.
- Tenir le rebord du récipient de la main gauche est un geste de politesse et d'humilité.
- Eviter de se précipiter sur la nourriture est une forme de patience.
- Attendre de recevoir la viande à la fin du repas et de ne pas se servir soi-même conduit à la maitrise de son appétit et sa gourmandise", nous dévoile le très éclairé écrivain Amadou Hampaté Ba dans l'un de ses écrits.

Au menu, c'était une bonne sauce d'arachide, garni de viandes et de légumes. Je me régalai à satiété et discutai ensuite quelques minutes avec mes frères le temps de digérer la nourriture. Cette fois-ci j'eus l'occasion d'être l'émetteur contrairement aux autres fois.
Je décidai alors d'aller rendre visite à mes bons vieux amis, histoire de voir ce qu'ils étaient devenus et par ricochet de passer mes salutations à leurs familles respectives.

Ce jour-là, à chaque fois que j'arrivais chez l'un d'entre eux, une histoire hilarante ou dramatique concernant la personne me venait directement à l'esprit. Ce serait égoïste de ma part de continuer ce récit en vous privant de ces moments cocasses.

Je commençai par Mamadou Diarra, dont la maison était juste accolée à la mienne. Comme moi, il était maigre mais clair de teint. Ce fameux botaniste connu sous le nom de tomatier. Qui ne le connaissait pas ? Tout le monde sauf les élèves de l'école de Kita...
Un jour, lors d'un cours de biologie, de botanique plus précisément - en quelle classe? Je ne saurais vraiment le dire - le professeur demanda de citer quelques noms d'arbres se terminant par -ier. Les uns répondirent manguier, papayier; d'autres dirent orangier, goyavier. Mamadou, tout calme sortit abruptement de son trou en criant "moi miché! Moi miché!" pour dire "moi Monsieur!". Sans même que le professeur ne lui donna la parole, il proféra tomatierrrr tout en roulant bien le "r" à la fin. Tout le monde éclata de rire. C'est ainsi qu'il s'est vu attribuer le sobriquet "tomatier".

Ensemble nous allâmes chez Adama, mon meilleur ami, mon alter-ego j'aime bien le dire. Il était aussi clair de teint et moyen de taille. Qui au village, n'était pas au courant du lien d'amitié que nous avons tissé tous les deux. C'est pourquoi ils nous ont surnommé - à l'école de Kita - "Adama au carré" ou encore "Adama fiman ni Adama djéman" pour dire "Le blanc Adama et le noir Adama".

Nous continuons tous les trois chez Boubacar Dembélé, le fils du chef de village. Il était le plus costaud de nous tous. Le plus grand mais pas le plus vif en esprit. Ce qui était à notre avantage lorsque nous avions des litiges avec d'autres groupes. Son histoire est sans doute la plus hilarante de toutes.
Toujours et encore avec le professeur de Biologie. Il nous demanda cette fois de lui citer rapidement quelques animaux vivant dans l'eau qui nagent. Un élève répondît le poisson, un autre la grenouille. Boubacar, comme propulsé par un ressort vociféra : "Moi!"d'une voie toute grave et ralentie tout en levant son index. Toute la classe le fixa - il se trouvait tout au fond de la classe et n'avait pas du tout l'habitude de parler à plus forte raison de répondre aux questions d'où l'étonnement des uns et des autres -, le professeur lui donna la parole. Toujours avec cette même voix, il exclama : "l'homme nage!!!". Ce fut là aussi un moment de fous rires. Je me suis tellement marré que j'en avais des maux de ventre.

Nous riions encore tous ensemble y compris les membres de sa famille qui n'avaient rien manqué de notre discussion.
Son père, le chef du village jadis, décida alors d'organiser une fête en mon honneur et uniquement entre jeunes du village. Je le remercie et nous sortons.

C'est alors sortis de chez Boubacar, que la scène de Kadi commença à me ronger l'esprit tel un foutu rat tombé sur un vulgaire bout de papier. Je ne pus me retenir que je demandai à mes trois acolytes de m'expliquer ce comportement soudain de Kadi. "Un enfant au dos, couvert de la tête au pied à tel point qu'aucune partie de son corps n'est visible à part son visage et partir en sanglotant". Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ?dis-je de vive voix.

Un silence similaire à celui d'un cimetière régna un bon moment, ils se fixèrent tous les trois avec un air désespéré. J'eus soudainement les yeux emplies de larmes mais je me retins, plus par impatience que par bravoure.

- Venez, allons nous poser sous l'ombre de ce manguier. Nous discuterons plus tranquillement là-bas, proposa Adama, mon alter-égo.
Tout comme moi, les autres acquiescèrent d'un hochement de la tête et nous y allâmes.
A cet instant, mon battement cardiaque n'était plus le même. Je sentis vraiment un froid me monter des orteils jusqu'au crâne. J'étais plus qu'impatient de connaître l'histoire.

- Écoute mon gars, j'ai eu à parler avec Kadi juste avant que tu ne viennes. déclara Adama. Elle m'a fait comprendre qu'elle voulait te voir en personne. Ce serait une occasion pour toi de puiser l'eau à la source, termina-t-il.
- Non mais tu me connais très bien et tu sais plus que moi que je ne saurais attendre cette rencontre. Je risque de faire un crise cardiaque ou de devenir fou à force d'y penser constamment, continuai-je.
- Non mais attends Adama! Tu penses que c'est par hasard que mon père a organisé cette fête?! ajouta Boubacar.
- Ne me dis pas que tu as parlé de cette histoire à ton père!? Enchainai-je.
- Non je ne suis pas con toi aussi. Quand Adama nous a fait part de cette histoire, je me suis dit que je pourrais arranger cette rencontre en proposant à mon père d'organiser une fête en ton honneur, en ta venue. Et le tour fut joué! finit Boubacar.
Je ne sus vraiment quoi dire pendant un bon moment, par émotion ou par peur je ne saurais l'affirmer.
Il commençait à se faire tard, on pouvait observer les dernières lueurs de soleil disparaître à l'horizon. Chacun regagna sa maison pour se préparer pour la soirée, la fête durant laquelle se fera la fameuse rencontre entre ma chère et bien-aimée Kadi et moi. Une nuit où tout peut basculer...

Le retour au bercailOù les histoires vivent. Découvrez maintenant