Le début d'une ère sombre ?

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Ce jour-là, avant de rentrer à la maison, nous passâmes à la gare routière afin que je puisse acheter mon billet pour le départ au village le jour suivant. C'est donc tout juste après que nous rentrions à la maison.
Arrivés, j'expliquai tout le tumulte qui s'était passé à tantie Setou et à tonton Drissa. Ils rigolèrent un bon moment et m'encouragèrent à toujours faire du bien si toutefois l'occasion se présente. Quelques minutes après, tantie Setou apporta un plat de riz au gras bien garni de légumes et de poissons qui d'après ses dires, avait été minutieusement et spécialement préparé pour moi. Je ne saurais vraiment avancer sans décrire ce plat, rien qu'en pensant, j'ai de l'eau à la bouche. Un riz bien cuit, aussi mou qu'un chiffon et dont la palatabilité ne laissait nul choix aux papilles et sans parler des deux carpes bien grosses et des légumes qui ne faisaient qu'amplifier la succulence du repas. Ma nature ne me laissa pas de choix, je me goinfrai bien.
Contrairement à l'accoutumée, nous restâmes et discutâmes tous ensemble dans le salon après le repas, et chacun disait ce qui lui passait par la tête. Ces discussions durèrent quelques heures et chacun vaqua après à ses occupations.

Quelques minutes après, j'entendis une cacophonie qui provenait de je ne savais où. Je sortis promptement de la chambre et vis que Zou et Soumoutou se disputaient pour un simple seau d'eau, chose que je sus juste après.
En effet, Zou voulait se débarbouiller et a été le premier à récupérer le seau d'eau mais Soumoutou par audace ou plutôt dirais-je par tyrannie voulait à tout prix arracher ce fameux seau des mains de Zou.
Avant que je n'arrive vraiment à côté d'eux, ils avaient déjà commencé à se donner des coups dans tous les sens. Je courus alors pour les séparer. C'est alors qu'en n'ayant même pas eu le temps d'y intervenir que Soumoutou m'assomma d'un coup si violent sur mon œil gauche que je vis des oiseaux tourner au dessus de ma tête. (Autant dire que j'ai sauvé la peau de Zou, qui jusqu'à présent me doit une fière chandelle.)

Je m'écartai aussitôt, les deux mains sur mon œil gauche. J'y passai une bonne minute à le caresser. Force est de dire que les travaux champêtres au village et domestiques en ville donnaient aux mains de Soumoutou une dureté comparable à celle d'une roche.
Je finis par relever ma tête pour voir comment se continuait cette fameuse lutte : Zou tenait la tête de Soumoutou sous ses aisselles et la pressait si fort qu'on aurait eu un jus si toutefois c'était une orange.
Soumoutou, n'ayant pas d'issue, saisit la partie virile de Zou avec sa main droite et la pressa si fort qu'il ne pût se retenir. Il proféra :
- « Ah yé oun s*k*n* minè, oun s*k*n* ba bolo ! » pour dire « Elle a ma partie virile dans sa main, elle l'a attrapée! ». Zou, à son tour, pour se défendre, mordit farouchement son dos qu'elle libéra aussitôt sa partie sensible.
Tonton Drissa, entendant les cris qui devenaient de plus en plus intenses, vint. Ils se lâchèrent comme si de rien n'était. Naturellement sage, il fit un regard menaçant et retourna aussitôt dans le salon sans même remuer sa langue. Au final, Soumoutou fit lâcher-prise et Zou partit se débarbouiller.

Quant à moi, je décidai d'aller dire au revoir à mes amis du quartier mais aussi à mon vieil ami Mola pour qui j'avais énormément de peine.
Je passai un bon quart d'heures avec les amis pour les adieux puis je me rendis au dépotoir du quartier dans l'optique de croiser Mola. Je passai un bon moment avant de le retrouver mais finalement, je le retrouvai dans coin, assis sagement et plongé dans une réflexion assez profonde. À ma grande surprise, une folle était assise à côté de lui et elle ne faisait que me regarder.
Je m'approchai tout doucement d'eux. Contrairement à Mola qui ne voyait que du feu, la folle, elle, me fixait en souriant et je ne savais pourquoi.
Arrivés à quelques pas d'eux, la folle vint vers moi et ce toujours en souriant. Sans mentir, je me suis directement vu à la place du monsieur qui avait été chicoté en pleine circulation. Moi, ne sachant quoi faire, je restai immobile. Elle commença à roder autour de moi, tout en me dévisageant. Quant à Mola, il était toujours immergé dans ses réflexions comme si de rien n'était.

Soudainement, la folle exclama :
- « Den gnoumani, é na na moun kè yan ? » pour dire « qu'est-ce que qu'un beau gosse comme toi vient faire ici ? » en français.
Je ne plaçai un mot mais elle poursuivit :
- « E tchè kagne saaaa. E te ne fè ah ? Mouna é té ka kouma ne fè ? » ou encore « Tu es si beau ! Pourquoi ne me parles-tu pas ? Tu ne m'aimes pas, c'est ça ? »
Je restai cependant toujours coi mais elle ne cessait de roder et à me lancer des phares d'admiration.
Soudain, elle s'arrêta et me regarda droit dans les yeux mais je baissai le regard. Elle termina alors par :
« Un désert plus qu'aride et un jour complètement nuageux te guettent. Tu seras l'ami des ténèbres et peut être en restant fort de mentalité comme tu l'as été tout à l'heure, tu pourras trouver une issue. »

Pour être honnête, cette phrase m'a complètement embrumé l'esprit, j'eus un déclic qui me poussa à ouvrir les yeux aussi grandement que ceux d'un hibou. J'eus peur, vraiment peur à tel point que je sentis un grand froid me monter des orteils jusqu'au sommet du crâne. Je ne cessais de me poser des questions. Qu'insinuerait-elle par désert aride ? Que serait ce jour nuageux dont elle parlait ?
Entre le cauchemar dès mon premier jour, l'incident au grand marché et ces paroles pas du tout amènes qui venaient envenimer les choses, je me demandais ce qui m'attendait réellement.
Je continuai alors ma marche vers Mola, je le saluai à plusieurs reprises mais comme à ma plus grande surprise, je n'eus point de réponse de sa part. Je pris sur moi de lui faire part de la raison de ma visite et rentrai à la maison et toujours sans avoir un mot de sa part.

Sur le chemin, j'étais complètement déboussolé, et mon esprit était complètement anéanti par toutes ces situations. Etait-ce le début d'une ère sombre pour moi ? Fut la question favorite de mon esprit.
Alors vers dix-huit heures, au moment où le soleil jetait ses derniers feux au-dessus de l'horizon, j'arrivai la maison. Je préparai mes bagages pour mon voyage le lendemain. Après la prière de Icha* (dernière parmi les cinq prières obligatoires journalières dans l'islam), je rejoignis aussitôt le lit pour à la fois essayer d'oublier tous ces tourments mais également d'être frais comme un gardon pour mon voyage.

Le retour au bercailOù les histoires vivent. Découvrez maintenant