Une soirée magique

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Il était presque midi. Le soleil était si ardent qu'il nous brulait les crânes. Je choisis alors de prendre, avec Adama, le chemin du retour.

« — Dis donc, ça t'a vachement fait du bien, cette petite escapade matinale ! Tu as sitôt retrouvé ta gaieté que ton petit visage brille à nouveau, me chahuta-t-il.
— Oui, je peux dire ça, répondis-je d'un air avenant.
— Tant mieux alors, mais dépêche-toi. Mon estomac ne cesse de gazouiller. »

À grands pas, nous retournâmes ainsi à la maison. Dès que nous arrivâmes, muni d'un petit tabouret, chacun s'empressa de rejoindre le cercle des convives où tous les membres de la famille n'attendaient que nous. Une fois installés, mon père Yaya se lava d'abord les mains dans une calebasse remplie à moitié d'eau, puis il bredouilla quelques litanies, ensuite il prit la première poignée qu'il avala aussitôt. Il venait ainsi de donner l'ordre aux autres de faire comme lui.
Au menu de ce jour, un bon plat de riz à la sauce pâte d'arachide et garni de viande et de légumes. Quel délice ! Je m'en régalai si bien que j'eus du mal à quitter le cercle. Néanmoins, je fis des efforts, remerciai tous mes aînés et me glissai dans ma chambrette, pour passer, ainsi, le reste la journée à papoter avec Adama le blanc.
À vrai dire, j'étais redevenu heureux, j'avais recouvré ma gaieté comme l'avait dit mon intime alter ego. J'avais l'impression d'avoir tourné la page, d'être réellement passé à autre chose et cela en un seul jour, en une seule discussion et de surcroît avec une inconnue. Et pas seulement ! Une inconnue avec laquelle je n'avais échangé que quelques minutes durant. « Quelle illusion ! », protesta mon esprit. J'avais certainement oublié mais réalisai rapidement que le cœur est un labyrinthe dont la profondeur dépasse amplement le tréfonds d'un océan. Quelle tristesse !

Contrairement à la nuit précédente où j'étais d'une humeur maussade, où mon cœur battait la chamade, cette nuit où je titubais comme un soûlard, dépourvu de toute lucidité et où j'ai versé des larmes amères, je répondis gaiement cet après-midi-là à toutes les questions existentielles de mon alter ego.

« — Dis donc, Adama ! Tu es tombé sur un lingot d'or ou quoi ? J'admire ce brusque changement positif de ton humeur, nga tiè (mon gars en français)!
— Pas du tout, répliquai-je vivement avec un sourire narquois. Je suis juste heureux, parce que je suis tombé, pas sur un lingot d'or, mais sur une diablesse ! Une demoiselle d'une beauté hors pair ! Élancée et de taille moyenne, elle présente une très belle silhouette et un beau visage. Ses yeux scintillent comme une nouvelle pièce de monnaie, ses cheveux sont lisses, noirs et bien entretenus, le tout couronné par un joli teint bronzé sur lequel le soleil s'amuse à darder ses clairs rayons.
— Épargne-moi ton gros français, monsieur le poète, et dis-moi concrètement le fond de ta pensée. On ira plus vite ainsi. »

Je lui racontai alors tout ce qui s'était passé avant qu'il ne vienne me chercher, sans omettre le moindre détail.

« — Nathalie ? Tu dis bien Nathalie ? La même Nathalie ? La fille de monsieur le Maire ? Celle qui, jusque-là, n'a jamais accepté les avances d'aucun courtisan ? Non, tu as enlevé le gros lot, mon pote ! Dis-moi sincèrement, penses-tu que Kadi mérite ça de ta part ?
— De grâce, ne recommence pas s'il te plaît ! Toi-là, je ne te comprends même pas. Quand j'étais sous le choc, tu voulais que j'aille mieux et maintenant que je vais mieux, tu veux le contraire.
— C'est bon, j'arrête, monsieur le futur gendre du Maire de Kita, dit-il d'un air goguenard. En tout cas, si je peux te donner un conseil, c'est d'être prudent car on ne sait jamais.
— Ne t'en fais pas, dis-je, en coupant court à la discussion dans un hochement de tête. »

Quelques minutes plus tard, la bande fut au complet : Mamadou et Boubacar se joignirent à nous. La discussion devint alors plus houleuse. Ils me racontèrent tout de leurs conquêtes, les gazelles, comme ils s'amusaient bien à le dire, auxquelles ils prétendent ou ont prétendu sans succès. Aucun d'eux n'avait de retenu à balancer les historiettes, cocasses ou intimes furent-elles, de l'autre, chaque fois qu'il en avait l'occasion. Le rire était vraiment au rendez-vous, je les regardai, se défoncer, se tirer à balles réelles et contemplai passionnément la scène, ce qui me faisait intégralement oublier mes tracas personnels. Des heures passèrent. Nous restâmes papoter ainsi jusqu'au coucher du soleil. Tout d'un coup, le muezzin, de toutes forces, fit l'appel à la prière du Maghrib, une des cinq prières quotidiennes obligatoires dans l'islam. Les poules s'ébrouèrent, suivies de leurs petits, et regagnèrent leur poulailler, et, nous en profitâmes pour faire nos ablutions pour aller prier à la mosquée où notre entrée coïncida de justesse avec la formule « Allah Akbar », c'est-à-dire « Allah est Grand », que l'imam prononce pour annoncer le début de la prière. Après les trois unités de la prière, l'imam fit des bénédictions à l'endroit des fidèles et au moment où tout le monde s'apprêtait à sortir de la mosquée, un vacarme se fit entendre. Tout naturellement, piqués par notre éternelle curiosité, nous accourûmes aussitôt pour voir ce que c'était. Quelle déception ! Que dire! Que dire comprendre ! Vraiment que dire ! La scène était drôle et triste. Je n'en croyais pas mes yeux.

Le retour au bercailOù les histoires vivent. Découvrez maintenant