Le soir où tout a basculé - Partie 2

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Ouf! soupirai-je. J'eus à peine repris mes esprits que Kadi n'était plus qu'à deux pas de moi. Je sentis une chaleur -à la fois rassurante et effrayante- émaner de sa magnifique personne. Ses yeux, sous l'effet de la claire lune, scintillaient agréablement. Elle portait ce soir un tissu joliment cousu de la plus belle des mains et dont les motifs se faisaient apercevoir malgré le seuil de la nuit. Elle s'approcha encore d'un pas, son parfum délicieusement plaisant, envahit subitement tout l'espace.

- Adama, dit-elle en restant coite une bonne minute.

Nos regards se croisèrent, ses yeux qui s'étaient emplies de larmettes, scintillaient davantage.

- Kadi, répondis-je d'une voie rassurante.

À peine j'eus fini ma phrase que deux larmes descendirent le long de ses joues. Elle me serra fort dans ses bras en sanglotant. Mon cœur se raffermit brusquement. C'était comme si on venait d'enfoncer une épine à son beau milieu.

Je relevai alors sa tête, posa mes mains sur les tempes de son visage, la regardis amoureusement dans les yeux et elle arrêta subitement ses pleurs.

- Que se passe-t-il Kadi ? Dis-moi ce qu'il y a. Je ne cesse d'angoisser de jour en jour. S'il te plaît, dis-moi quelque chose que je puisse être tranquille, que je puisse l'être au moins dans mes pensées.

- Si c'est ce que tu veux, je te dirai tout, absolument tout! répondit-elle.

Elle racla bien sa gorge et poursuivit :

- "Tu sais bien Adama, que contrairement à toi, après notre réussite au Diplôme d'Etudes Fondamentales, je n'ai pas eu la chance d'aller poursuivre mes études en ville. Dès lors, je sus que c'était inexorablement la fin, oui la fin de mes études et ça toi-même tu le savais.

Que fait alors une jeune fille au village qui ne fait pas d'études !? Et bien, elle est adonnée un jour ou l'autre au mariage. Et ça qu'elle le veuille ou non !

À ton depart, nous n'avions tous les deux que quatorze ans. Que quartorze ans nous avions à cette époque!
Mon père Tiekoura, ses frères ainsi que mes frères aînés décidèrent alors de me donner en mariage et tu sais à qui ? Moriba!...
Oui Moriba, le même vieux commerçant illétré à qui tu t'étais toujours inlassablement dévoué à aider pour la gestion des comptes de sa boutique. Oui ce même Moriba, qui t'appréciait bien. Oui ce même Moriba, qui savait tout de notre relation et à qui je ne cessai de le rappeler.
Contrairement à la bande de mon père, mes mères -ma mère Mariétou et ses trois autres coépouses- et mon oncle Seriba -l'instituteur, le frère puîné de ma mère- demeurèrent contre ce mariage au vu de mon jeune âge. Mais mon père ne voulait rien entendre de tout ça. Papa Tiekoura, tu le sais, autoritaire ou devrais-je dire tyran de nature, ne demandait qu'à être obéi. Il s'obstinait toujours à ce que ses ordres soient éxecutées et ce dans les plus brefs délais.

En apprenant cette décision, je fus complètement anéantie. Anéantie car je voyais les briques du mûr qu'on avait bâti ensemble s'écrouler une par une. Je pris sur moi et décidai de trouver une solution mais toutes mes tentatives demeurèrent sans succès car mon père ne voulait rien savoir, ne voulait écouter personne à plus forte raison revenir sur sa décision.
Je passais ainsi mes journées à pleurer, mes nuits à cogiter jusqu'à me brûler quasiment les neurones.
C'est alors un beau soir que ma mère vint me trouver en pleurs dans ma chambrette, allongée sur mon tara, le visage gonflé, les yeux amincis de pleurs.

- Ma fille, dit-elle en caressant ma tête.
Lève-toi et écoute-moi ta mère s'il te plaît. Je comprends parfaitement ta situation et sache que comme toute mère, je suis sensible et empathique à cela.
Jusqu'aujourd'hui, les mariages ont toujours été ainsi.

Le retour au bercailOù les histoires vivent. Découvrez maintenant