Je la regardais s'éloigner à perte de vue dans les horizons. Le balancement des branches de gauche à droite perturbait graduellement ma vue. Sa silhouette, sans conteste, aussi magnifique que sa personne, la suivait. Ses longs cheveux, sous l'effet du vent, flottaient constamment. Je restai là, surpris mais étonné également, car déboussolé par les annonces qui venaient d'atteindre le fond de mes oreilles et qui y séjourneraient, peut-être, éternellement. J'en étais sidéré à tel point que mes pauvres méninges s'amuseraient à envoyer un rappel à mon cerveau à chaque fois que ce dernier aurait un creux pour se détendre. Bref, autant dire que je fus anéanti jusqu'au dernier os. Certes, un choc émotionnel dur à expliquer !
À ce moment, une sensation aussi désagréable qu'indescriptible m'envahit. Comme mon grand-père, tout mon corps se mit soudainement à trembler. Mes glandes sudoripares, ne voulant pas coopérer, se déchaînèrent et je commençai à suer comme trempé dans de l'eau. Mon cœur, comme pour donner le signal aux autres organes de mon corps, se crispa à son tour. Mes nerfs, ayant bien reçu l'information, s'enchevêtrèrent et brouillèrent toute perception, toute réflexion et toute lucidité émanant de ma pauvre personne. Alors, je commençai à suffoquer. J'avais l'impression que mes veines m'abandonnaient, car elles refusaient d'acheminer vers mes poumons le carburant dont ils avaient besoin pour éveiller ma modeste personne. Abruptement, je me courbai et j'ouvris ma bouche pour piquer à l'air un peu d'oxygène, afin de ne pas trépasser.
Quelle soirée sensationnelle, maussade et mémorable ! Je me la remémorerai toute ma vie et j'en ferai, sans doute, un conte pour mes petits-enfants.En plus de ma bouche, mes yeux, pour suivre la cadence, s'écarquillèrent, mais je ne voyais rien, absolument rien. Tout était devenu flou. Je me mis à regarder le ciel, et d'un coup, les étoiles se déformèrent et je sentis la lune venir vers moi. Tourmenté, je baissai le regard, et pire, la terre semblait se scinder en deux. Les oiseaux se turent tous comme s'ils me tendaient leur empathie et les branches des arbres arrêtèrent aussi tout mouvement comme si elles voulaient me consoler. Chaque fois que je regardai devant moi, plusieurs chemins s'offraient à moi, mais je ne savais aucunement laquelle choisir. Ma mémoire ne me répondait plus, elle ne répondait plus à mon appel. En vérité, j'avais l'impression de rendre l'âme, tout simplement.
Quelle soirée ! Maugréai-je. Cette histoire, je ne la conterai pas seulement à mes petits-enfants mais à l'humanité toute entière.
Je fis un pas en avant et mon cœur devint subitement gonflé, oui gonflé de mélancolie, oui gonflé comme un ballon ayant passé une éternité à absorber de l'air. Je sentis une inintelligible douleur parcourir d'abord tout mon corps, de ma tête jusqu'aux phalanges de mes orteils, puis, tout à coup, cette douleur transperça mon cœur. Comme piqué par un dard, je m'arrêtai aussitôt et passai une bonne minute à le caresser en pensant que tout irait bien. Un deuxième pas et j'eus l'impression qu'à force de gonfler, il venait d'éclater, oui d'éclater de sentiments, oui dirais-je, d'émotions ou encore de chagrin ?
« Oh mon Dieu ! Qu'ai-je fait pour mériter un tel sort ? Qu'ai-je fait ? », pensai-je inlassablement.
« N'est-il pas dans l'ordre que la fille qui nage bien soit donnée à un bon piroguier ? » Me demandai-je.
« Ne suis-je donc pas un bon piroguier ? » marmonnai-je incessamment.
Là, je compris que l'amour est comme une eau de source. Quand on la regarde, on admire sa limpidité mais au fond de cette source, aussi claire soit-elle, le sable est bien mêlé à la boue.
« Oh mon Dieu ! Ai-je commis un sacrilège pour mériter ça ? Qu'ai-je fait ? », criai-je.
Subitement, je me rappelai, pour une dernière fois, me dis-je en mon for intérieur, son somptueux visage que je contemplais avec une ferveur inouïe, son teint ébène si attrayant, ses dents de pure race aussi blanches que les cauris de la vieille époque, sa forme svelte sans oublier ses hanches fines et épanouies. Pauvre de moi, je pleure mon âme.
Je commençai alors à tituber, à aller machinalement de gauche en droite à la manière d'un soûlard. Je faillis tomber en syncope quand j'entendis :
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Le retour au bercail
Adventure"Le retour au bercail" retrace l'histoire d'un jeune garçon malien, du nom d'Adama, qui retourne dans son village natal après de longues années passées à l'étranger pour ses études. De son voyage de l'étranger, passant par Bamako et jusqu'à chez lui...