Sougouba, le grand marché de Bamako - Le trottoir infranchissable

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Aussitôt ce bon moment de rire fini, nous sentions nos paupières s'alourdir. La chaleur émanant des draps aussi douce qu'agréable ne nous laissait guère le choix. Ainsi, la nuit passa rapidement comme une flèche.

Le lendemain, alors que les premiers rayons du soleil faisaient leur apparition, tante Setou nous réveilla pour une commission au Sougouba, le grand marché de Bamako, pour acheter quelques tissus que je ramènerai au village comme cadeaux de sa part.

Nous nous levions, faisions nos toilettes et prenions aussitôt le petit déjeuner : de la bonne bouillie aussi chaude que lactée. Il va sans dire que j'aimais éperdument cet aliment pâteux avec des grumeaux de farine bien doux et cassants. Je pouvais en boire tout le temps et à n'importe quelle période de la journée. D'après les dires de tonton Drissa, durant mon enfance je pouvais contenir les dernières bouchées du petit déjeuner dans ma bouche pendant des heures et des heures juste pour ne pas perdre le goût appétissant qu'elle laissait sur les papilles.

Ce jour-là nous prenions la moto de tonton Drissa pour éviter les bouchons dans la ville et ainsi être rapide. En cours de route, c'est sous un soleil ardent et un climat éperdument poussiéreux que je percevais un peu Bamako, les endroits que nous fréquentions pour nous rendre à l'école. Cependant, rien n'avait vraiment changé : toujours les mêmes bâtiments, les mêmes routes (un peu plus dégradées qu'avant quand même) avec des boutiques toujours aux bordures, les mêmes bouchons et les mêmes cacophonies qui nous faisaient croire que tout Bamako était sorti en même temps.

De la vitesse à laquelle roulait Zou à la quantité de poussière qui rentrait dans mes yeux et même dans ma bouche quand je ne faisais pas attention, je n'eus vraiment le temps de contempler que lorsqu'on arriva à un feu stop tricolore.

À côté, on pouvait bien voir un kiosque de police avec deux policiers à côtés tous les deux assis sur leurs motos, habillés en chemise bleue, pantalon noir, les sifflets dans la bouche et le tout couronné par un béret noir qui donnait une certaine harmonie à l'ensemble, surveillant avec une attention de chien le trafic. Dans tous les sens, nous pouvions voir des voitures, des motos et même des vélos tous attendant le passage du feu tricolore au vert.

C'est alors pendant ce temps, que mes yeux, en traînant un peu partout, virent un fou derrière nous, habillé de la manière la plus bizarre qui puisse exister : trois pantalons portés les uns sur les autres (sûrement pour combler les déchirures des uns et des autres, une chemise sur laquelle était empilé un boubou vraisemblablement déchiré tel l'effet d'un ciseau, les pieds nus sur le goudron éperdument brûlant. Comment pourrais-je continuer sans parler du gros fouet, une branche assez épaisse d'arbre qu'il trimballait avec lui.

Il se dirigeait promptement et tout droit vers nous. Pris de peur, je demandais à Zou de se retourner et de voir ce qui se passait derrière nous. Il rigola et se concentra sur la circulation. Quand le gars fût à quelques pas de nous, j'ai failli prendre mes jambes à mon cou mais je me ressaisis et resta stable et coi car un fou c'est comme un chien enragé, plus tu attires son attention, plus ça risque de mal tourner. Quant au fou, il nous dépassa si rapidement que son vent fit flotter mon t-shirt et s'arrêta tout juste à côté de la moto se trouvant devant la nôtre, fixa incessamment le monsieur et à la grande surprise de tous, commença à le fouetter comme un pauvre enfant ayant déconné.

- «E ba kè tougouni ah ?» pour dire en français «Auras-tu l'audace de refaire ça ?» exclama le fou à chaque fois qu'il donnait un coup.

Le monsieur, le plus surpris de tous très certainement, ne put rien faire à part se protéger des coups violents que le fou lui faisait grâce. Cela se passa juste quelques minutes avant que les policiers et les autres personnes présentes fussent intervenus.

Le retour au bercailOù les histoires vivent. Découvrez maintenant