Premier jour à Bamako : Quand le chat n'est pas là, la souris danse

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Arrivés en vitesse comme deux gazelles poursuivies par un lion affamé, nous trouvâmes tonton et les autres à quelques pas de la maison.
Pris de peur, je laissai Zou parler et lui demander la raison de l'alerte.
D'un simple geste de son index, il nous somma calmement d'écouter. Effectivement, sous l'effet de l'alerte, nous n'y avions pas prêté attention mais une bonne note de musique bien forte ajoutée à une cacophonie on ne peut plus incroyable, semblait venir de la maison, plus précisément du salon principal. Dans ma tête, cela ne pouvait être nulle autre que Soumoutou, qui peut-être, ayant eu une once de liberté, transforma la maison en une discothèque ou je ne sais quoi dire.
Tantie Setou, très impulsive de nature, n'arrivait point à se tenir coi et stable. Elle ne faisait que chuchoter. Tonton la calma et nous rentrâmes.

Dans la cour, nous rencontrâmes une de la bande venant d'on ne sait où et qui, par ignorance ou par audace ou même par impolitesse, nous demanda si nous venions aussi prendre part à la superbe fête qu'avait organisée Soumoutou. Personne ne lui répondît sauf tantie Setou qui, très énervée, cria : "Ayi, an té nalé fêti la dè, an bé nalé i d*ou dé la" comme pour dire, non, nous ne venons pas pour la fête mais plutôt pour ton derrière en français. Cette insulte, qui m'avait surpris et que je n'avais pas entendue depuis belle lurette, me donna une très forte envie de m'éclater de rire mais je me retins car contrairement à tantie Setou qui réglait ses comptes par des insultes, tonton Drissa, lui, agissait. Une bonne baffe de sa part ne serait guère une surprise.

Enfin, nous arrivâmes sur la terrasse, juste en face du salon. Je jetai un coup d'œil sur le visage de chacun, tout le monde était énervé ou du moins silencieux. J'avais également le visage serré mais au tréfonds de moi, j'étais très avide de voir ce qui se passait à l'intérieur.
À l'ouverture des rideaux, tous les regards pointèrent sur Soumoutou qui était bien posée comme par hasard sur la banquette préférée de tantie Setou. Elle était là, les jambes croisées, tenant la télécommande à la manière d'un vrai Dj. Sans mentir, le son qu'elle jouait, que je ne connaissais point d'ailleurs, était si dansant qu'il m'était passé à l'esprit de me défouler. Encore une fois, mes pensées se dirigèrent vers tonton Drissa et immédiatement je balayai cette idée de mon esprit.

Dans la fameuse discothèque, les uns étaient entrelacés comme des cordes, dansant dans tous les sens et ruisselant incroyablement de sueur et les autres, sans doute épuisés, étaient étendus comme sur leurs lits.
Quant à Soumoutou, quelque peu effrayée, elle resta immobile et bouche bée.
Tantie Setou, très irritée, voulut foncer sur elle pour la dévorer mais tonton Drissa l'en empêcha.
"Oun te fè ka n'gnè toukou ka yèlè kaw sôrô yan. Aw yé yan bla!!!" ("Je ne veux pas fermer mes yeux et les ouvrir en votre présence. Déguerpissez tous d'ici !!!") s'exclama-t-il avec une voix si sonore que l'écho se faisait entendre dans tous les environs.
Chacun s'agita et se précipita de quitter les lieux. Nous autres étions restés là à contempler ce spectacle si insolite.

Soumoutou avança lentement vers nous, habillée comme un épi de maïs. Elle portait cependant ses plus beaux habits : un t-shirt rose sur lequel était dessiné le visage d'une célébrité que j'ignore jusqu'à présent, un pagne empli de motifs joliment dessinés, en plus de toutes les marques de maquillage sur son visage qui était aussi jaune que la peau d'une banane mûre et sans parler de ses lèvres rendues rouges comme du sang.

Toujours avec des pas courts, les yeux grandement ouverts, la main sur la tête tremblant de peur ou je ne sais quoi en réalité, elle continua vers nous et vint s'agenouiller devant tantie Setou en la suppliant de lui pardonner.
Les nerfs plus tendus qu'avant, tante Setou voulut la gifler mais tonton Drissa la raisonna une fois de plus et ce, avec un simple mouvement de la tête. Elle se ressaisit alors, roda un peu dans le salon sans mot dire et fonça au final dans sa chambre. Les jumelles suivirent aussitôt leur maman.
Tonton Drissa, quant à lui, était resté dehors pour prendre de l'air et se rafraîchir les idées.
Ce qui est de notre part, nous restâmes dans le salon ou plutôt dans la discothèque, pas pour se détendre mais plutôt pour faire un résumé de ce qui venait de se passer et de nous offrir un bon moment de rire.

Quelques minutes après, abruptement, nous commencions à entendre un bruit faible émanant des toilettes tout près du salon, un bruit qui semblait être un "dialogue" entre deux personnes.
Sans aucun mot, mon regard croisa directement celui de Zou, nos yeux grandement ouverts d'étonnement. Immédiatement nous pensâmes aux jumelles, nous nous calmâmes et continuâmes notre résumé mais le bruit devenait de plus en plus intense et bizarre.
Tante Setou envoya une des jumelles nous demander ce qu'était le problème. Étonnés que ce ne fût pas elles, nous nous levâmes sur le champ pour aller voir mais tonton Drissa, aussi rapide que l'éclair, nous devança. Néanmoins nous le suivîmes.
Plus on s'approchait, plus le bruit devenait bizarre.
"Oun oun oun oun" résonnait d'une voix masculine
"Oun oun oun oun" se disait d'une voix féminine
Une chose, seulement une chose, traversa nos esprits ou devrais-je dire nos esprits tordus, Zou et moi : un homme et une femme étaient entrain de faire ce que les grands font.

Quel culot ces gens avaient eu... ?! Venir faire ça jusque dans les toilettes des gens ?! Je me disais...
Sans attendre encore plus longtemps, tonton Drissa défonça la porte et rentra. Ma curiosité innée me souffla à l'oreille de rentrer voir la scène. Je me précipitai, glissai et tombai si fort que mon dos fit un bruit étrange, comme brisé. Malgré la douleur, je me soulevai aussitôt pour ne rien manquer de la scène.

Il y avaient évidemment un jeune homme et une jeune fille, mais les deux fêtards ignoraient que la fête était finie.
Cependant ils n'étaient pas en train de faire ce que nous, avions en effet pensé mais pire je dirais. Le gars était accroupi sur le sol, les fe**es juste au dessus du tuyau d'évacuation de l'eau et la fille était penchée, les fe**es inclinées vers le lavabo. Les deux étaient relativement distants l'un de l'autre mais tous étaient en train de déféquer. Pour eux, chaque trou représentait un endroit où on pouvait se mettre à l'aise.

À notre arrivée, tous les deux sursautèrent et cachèrent leurs parties intimes...
Tonton Drissa nous fit sortir afin qu'ils puissent se rhabiller mais également pour leur intimité.
Quand ils finirent, ils sortirent, les yeux baissés, fixant incessamment le sol par honte, déshonneur et indignation.
- "Aw yé nin kai koun djoumai dé la ? Otouma aw ta kalama ko yen té a kè yôrô yé ah ?" ("Pourquoi avez-vous fait cela ? Ne savez-vous pas que ce n'est pas l'endroit idéal pour le faire?"), demanda tonton Drissa.
- "Anw koun ta don abé kai yôrô min na. Aw bè hakèto" ("Nous ne savions pas où le faire, pardonnez-nous"), répondît le jeune homme avec une voix basse et la tête toujours baissée (en effet, chez nous, baisser la tête est un signe de respect surtout quand on fait une bêtise. Fixer les aînés dans les yeux, peu importe la situation est un signe de mauvaise éducation).
Pendant ce temps, l'autre jumelle sortît de la chambre de sa mère en hurlant : "Humm bo kassa" ("Humm, ça sent le caca par ici"). Nous faillîmes éclater de rire mais nous nous retînmes au vu de la situation qui était plus qu'humiliante.
- "Chignè wèrè, aw yé gninikali kè san ni ka kow kè aw koun fè" ("Demandez la prochaine fois au lieu de faire une bêtise"), termina tonton Drissa qui les libéra de suite.

Il ordonna ensuite à Soumoutou de nettoyer tout le bazarre qu'elle avait foutu, aux jumelles d'aller se coucher et à nous d'être plus vigilants la prochaine fois qu'une tâche nous sera confiée et rejoigna tantie Setou dans la chambre.

Triste est de dire que la pauvre Soumoutou devait abattre tout ce travail avant d'aller se coucher mais force est aussi de dire qu'elle l'avait bien mérité.

Quand le chat n'est pas là, la souris danse mais si par malheur, le chat la surprend, ce ne sera plus sa fête à elle mais plutôt celle du chat.

Nous regagnâmes de ce fait notre "tiè so" et passâmes des heures à rigoler des scènes de la soirée avant de s'endormir.

Le retour au bercailOù les histoires vivent. Découvrez maintenant