Chapitre cinq

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Les trois aventuriers débouchèrent sur une splendide clairière recouverte d'un manteau blanc. Il leur avait fallu deux jours supplémentaires pour atteindre une longue échelle de cordes usée qui les avait menés en plein air. Le soleil déclinait doucement derrière des collines au loin. Déjà un sillon se creusait devant eux, presque totalement recouvert par les flocons qui étaient tombés quelques jours plus tôt. Les arbres et les buis étaient dénudés,  les racines rendaient le terrain difficile et abîmé.
- Nous aurons bientôt perdu la trace des Elfes, commenta Pharrah en observant les preuves presque effacées.
- Cela n'est pas notre objectif de les trouver, Pharrah, fille de Taurem, rappela Linlek. Nous devons nous hâter en Garganie afin de tenir un Conseil concernant la tempête.
- J'aimerais connaître le but de leur visite si loin de leurs terres, avoua la jeune femme. Il doit sûrement se passer quelque chose sur les Îles de Loduria.
- Le prochain village est Zukrin. Si nos mystérieux prédécesseurs ont passé par les grottes, ils ont forcément fait une halte là-bas. Allons-y!
Linlek devança les deux autres et ouvrit la marche suivi de Pharrah et de Cardan. Les arbres semblaient menaçants au fur et à mesure qu'ils avançaient, étendant au-dessus de leurs têtes des branches aussi pointues que des griffes. Après deux heures de marche, les végétaux s'étaient un peu espacés et une végétation plus dense s'était formée au sol, toujours recouverte d'une fine pellicule de neige. Enfin, ils sortirent de la forêt pour découvrir un vallon escarpé, recouvert de pierres coupantes et d'herbe gelée. Leurs pieds souffraient déjà des inégalités du terrain forestier et désormais, marcher sur des pierres n'arrangeait pas leurs affaires. Le chemin qu'ils suivaient s'embrancha soudainement sur la gauche, s'enfonçant dans un renforcement creusé au pied d'une colline. Linlek, curieux, suivit cet itinéraire imprévu et découvrit avec stupeur un vieux manoir rongé par le temps et la mousse, construit à flanc de colline. Le toit était à demi effondré, la porte en bois encaissait lassivement l'usure du temps et des intempéries. La façade était rongée par des craquelures et du lierre, une des fenêtres était brisée et des éperviers avaient fait leur nid sur la cheminée en pierre. Linlek s'avança et toqua à la porte.
- Excusez-moi? Y a-t-il quelqu'un? demanda-t-il. Nous sommes de voyageurs et nous voudrions collecter des informations sur certains phénomènes qui se sont passés dans la région.
La porte s'ouvrit dans un grincement insoutenable et une jeune femme apparut dans l'embrasure de la porte. Elle semblait jeune, vigoureuse et intimidée car son regard était fuyant. Ses longs cheveux bruns étaient attachés en chignon décoiffé sur sa tête, elle portait une robe noire en dentelles et elle possédait une bague sertie d'une pierre noire à son index gauche. Ses yeux étaient rouges, ce qui ne manqua pas de surprendre nos amis. Puis, une voix rocailleuse et fatiguée monta de l'intérieur de la demeure.
- Shali! Qui est-ce?
- Des voyageurs, mon bon maître. Ils veulent regrouper des informations sur ce que nous avons vu.
- Une tempête menace la région, affirma Linlek. Elle serait anormalement violente.
- Pour sûr qu'on l'a vue, répliqua la voix caverneuse. Cette saleté a emporté mon toit! Shali, tu peux leur dire.
- J'ai vu des choses insensées, expliqua la femme. Des cerfs et des ours se sont attaqués aux voyageurs sans défense. Je ne sais pas ce qui se passe, mais il est certain que de sombres jours sont à venir.
  - Eh bien, votre parole pourrait nous servir. Nous nous rendons en Garganie, à la Chambre afin d'y tenir un conseil. Toute information sera la bienvenue.
- Je regrette, s'excusa Shali, je ne puis abandonner mon bon maître. Les jours sont froids et rudes et cette maison a grand besoin de rénovation.
Linlek se tourna vers Cardan et une lueur scintilla dans ses yeux.
- Mon cher Mage, peux-tu aider cette pauvre femme?  Tu dois bien pouvoir réparer ce toit et rénover la façade?
- En effet je le puis, expliqua Cardan. Mais il me faut du temps et de la concentration car j'ai peur de bien me tromper. Je ne dois donc souffrir d'aucune distraction.
Linlek acquiesça et emmena Pharrah à part, un peu en retrait. Cardan fronça un peu les sourcils, surpris de l'intimité que demandait Linlek à la jeune femme et il sentit monter en lui une pointe de jalousie.
Linlek et Pharrah arrivèrent à un étang et chacun s'assit sur une pierre recouverte de mousse. Les plantes étaient recouvertes d'un manteau blanc et glacial, l'eau s'était figée. Les grillons crissaient autour d'eux dans un ballet chaotique, se mêlant aux gazouillements des oiseaux. Les herbes folles dansaient au gré du vent. Une libellule survolait la glace dans un joyeux bourdonnement.
- Pourquoi m'avez-vous amenée ici, mon Seigneur? demanda la jeune femme.
- Regarde mes mains, Pharrah, dit simplement Linlek en avançant deux grandes mains marquées par la fatigue et le travail.
Les doigts étaient tordus et quelques ongles étaient cassés.
- Vous avez été un paysan? demanda Pharrah un peu surprise.
- Un roturier, corrigea Linlek en acquiesçant. Dès que je fus enfant, j'étais destiné au trône. J'avais tout sur un plateau d'argent. J'ai refusé mon destin. Pour moi, la confiance d'un peuple doit se mériter. J'ai donc travaillé dur pour comprendre ce que ressentaient les gens. Mes parents m'ont renié et abandonné. J'ai dû reprendre le trône par moi-même.
- Où sont-ils désormais?
- Je l'ignore, répondit gravement le roi. Mais j'espère les retrouver à la Chambre. Alors s'il te plaît, cesse de me voir comme ton roi. Vois-moi plutôt comme un ami qui a connu le dur labeur. Car toi aussi, tu deviendras une personne importante. Je le sens. C'est inscrit dans ton regard.
- Je... merci, Linlek.
Pharrah dut se forcer de prononcer ces mots car rien n'était plus important pour elle que le respect des fonctions. Elle se releva, toute intimidée sous le regard bienveillant du monarque. Des lucioles s'élevèrent au même moment, mouchetant le décor froid de teintes de vert.
- Apprécies-tu Cardan? demanda-t-il, ce qui la coupa dans son élan.
- Je commence à m'habituer à sa présence, répondit la jeune femme en riant.

Les Guerres Arcaniques Tome 1: La Tempête des IllusionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant