Chapitre Neuf

2 0 0
                                    

Il y avait bien longtemps qu'Ogda Lune-d'Argent n'avait pas profité du confort d'un bon bain. Dans sa cuve d'eau parfaitement tempérée, elle sentait ses jambes se dégourdir et ses muscles se détendre. Son voyage entre le continent d'Asvari et celui de Xenastha via l'océan Oceartia et la Mer Xenasthienne avait été éprouvant. Elle se releva prudemment, laissant l'eau courir le long de ses formes. Les lignes bleu foncé  de ses tatouages qui se tordaient autour de son bras, créant des dessins abstraits, certes, mais typiques et signifiant énormément dans son pays d'origine décoraient parfaitement sa douce peau blanche. Ayant maintenu ses cheveux blonds au sec à l'aide d'une pince, elle entoura son intimité à l'aide d'une serviette de bain après s'être séchée. Elle s'étira longuement, étant satisfaite de sa petite cure et posa la main sur son morgenstern. Alors qu'elle ruminait intérieurement sur la meilleure façon de réunir les Héritiers, une petite voix résonna à l'intérieur de sa tête.
-        Tu n'es pas obligée de protéger l'Œuf noir, lui déclara cette présence.
-        Je sais, mais je me dis que cet artefact peut me conduire aux autres Héritiers. La preuve : il m'a conduite à Ketria Fangorn.
-        La lignée des Lune-d'Argent est amenée à disparaître, il faut que tu te hâtes.
-        Cette vieille malédiction commence sérieusement à m'énerver. Ce n'est pas à moi de décider de ceux qui vivent ou ceux qui meurent.
-        Tu as raison en tous points, mais ne veux-tu pas sauver ton frère ?
Ogda s'arrêta et observa son propre reflet dans le métal. Elle en était certaine : elle était lasse de tous ces combats, lasse de sa longue vie insupportable à regarder ses proches mourir autour d'elle. Elle était lasse des voyages en Asvari et maintenant qu'elle était sur Xenastha, les choses ne pouvaient pas aller en s'améliorant. Mais la Déesse qui l'avait nommée Eidolon avait raison : elle ne pouvait décemment pas abandonner son frère.
-        Si je connaissais le remède, il serait guéri depuis bien longtemps.
-        Je le sais. Mais il n'existe aucun autre remède que l'absolution éternelle de Ghärl le Fléau. C'est lui l'origine de son mal.
Ogda se rhabilla rapidement et coinça sa dague dans son dos, entre sa ceinture et son chemisier.
Lorsqu'elle sortit de la salle de bains, Ketria l'attendait sagement installée sur une chaise, les jambes croisées et la main sur le pommeau de son épée.
-        Ketria ! Si j'avais su que tu venais, j'aurais mis quelque chose de plus séant.
-        Ne t'enquiers guère des étiques, Ogda, tu es bien plus présentable que certains de mes domestiques.
-        Alors, que me vaut l'honneur de ta présence ?
Ketria se leva et toisa Ogda de la tête aux pieds. Elle lui tourna doucement autour en semblant observer chaque parcelle de son corps, à tel point que l'Eidolon d'Alieka se sentit quelque peu dénudée.
-        Nul besoin de cacher ta nature, Ogda Lune-d'Argent. Je sais parfaitement ce que tu es et ce que ta lignée implique. J'ai fait quelques recherches sur tes ancêtres et il apparaît que depuis l'aube des temps, ta famille souffre d'une terrible malédiction liée, à ce qui a été rapporté, à Ghärl le Fléau.
-        Tu es bien informée, Ketria. En effet, l'avenir des Lune-d'Argent est sombre, teinté de sang. Mon frère Serfris, resté en Asvari sur notre terre natale, décline peu à peu dans les ténèbres et dans la folie. Si je ne fais rien pour lui, il ne va plus rien en rester ; il ne sera qu'un pion à la solde de Rasankan. Et après lui, ce sera mon tour. Je dois me hâter et réunir les Héritiers le plus vite possible. Seuls eux peuvent vaincre le Fléau. J'en suis persuadée.
-        Tu as l'air de connaître le monde mieux que quiconque. Comment se fait-il que tu n'aies rien oublié, comme moi ?
-        La terre me raconte son histoire. La terre pardonne mais n'oublie jamais.
-        Alors... tous les Héritiers oublient leur passé... excepté toi ?
-        J'ignore également pourquoi les choses sont ainsi, expliqua la belle blonde en haussant les épaules.
-        Et les Dieux ? Ne peuvent-ils pas transmettre le message à la chair de leur chair ?
-        Les Dieux ne savent pas qui sont les Héritiers, Ketria. Ils se réincarnent dès qu'ils meurent sous un nouveau visage, oubliant tout ce qu'ils ont été.
-        Et Ghärl le Fléau ? Est-il un Héritier, lui aussi ?
La question sembla bouleverser Ogda, au point même de l'arrêter net et de lui faire écarquiller les yeux. Elle prit un petit instant pour souffler, comme si elle venait de faire un intense effort physique.
-        Il l'est, annonça-t-elle gravement. Ghärl est l'infâme création née de l'union entre Rasankan et Okapra. La Déesse de la Magie a bien entendu refusé de nommer cette abomination comme son Eidolon.
-        Ce qui explique pourquoi Rasankan a essayé de protéger le Géant... compléta Ketria, soufflée par ces révélations incroyables.
-        Il a bien plus qu'essayé, concéda Ogda. Non seulement il a réussi à le garder en vie, mais la terrible bataille qui a eu lieu entre les Dieux les a tous envoyés dans le Plan Céleste. Ghärl le Géant a donc pu faire ce qu'il voulait car aucun Dieu ne pouvait intervenir pour l'en empêcher.
-        Et tu penses que seuls les Héritiers peuvent le vaincre ?
-        J'en suis persuadée. Tu as réussi à le repousser avec ta lame, Ketria. Aucun autre avant toi n'a réussi cet exploit.
-        Tu sers ton intérêt avant celui des autres, fit remarquer l'Eidolon de Shi'Inan.
-        Mon frère se meurt, Ketria. La lignée des Lune-d'Argent s'éteint. Vaincre le Géant me permettrait de lever la malédiction et d'apporter l'honneur sur ma famille.
-        Je n'ai pas l'impression que l'honneur va nous sauver de ces temps troublés.
Ogda se rembrunit. Ketria sentit que son corps devenait lourd, si bien qu'elle perdit l'équilibre. Une puissante force la tirait irrémédiablement vers le bas, comme si un immense aimant l'attirait vers le centre d'Errea.
-        Mesure tes paroles, Ketria Fangorn ! Je ne laisserai personne traîner le nom de mes ancêtres ainsi que le mien dans la boue. L'honneur, c'est tout ce qui soit digne d'intérêt sur Asvari.
Ketria semblait totalement incapable de bouger. Ses mains restèrent comme collées au sol. Elle avait beau tirer de toutes ses forces et même utiliser l'Arcane, rien n'y faisait, son corps ne répondait pas.
-        Ne crois pas que j'ignore comment te vaincre. J'ai pris mes précautions au cas où ma quête tournerait mal.
-        Quelle est cette sorcellerie ? grogna la prisonnière.
-        La gravité, répondit simplement Ogda en relâchant son pouvoir. Les pouvoirs d'Alieka me permettent de la manipuler si j'exploite leur plein potentiel. Les Héritiers peuvent se vanter de quasiment obtenir la puissance d'un Dieu lorsqu'ils sont nommés Eidolons, tant qu'ils sont capables de maîtriser cette puissance dévastatrice. Je te recommande donc de revoir tes paroles.
Face à l'écrasante aura que dégageait Ogda, Ketria n'eut d'autre choix que celui d'abdiquer. Elle présenta ses excuses en reprenant son souffle pendant quelques secondes.
-        Est-ce que moi aussi je pourrais apprendre à maîtriser mon pouvoir ? demanda-t-elle intriguée.
-        Toi aussi tu as une quête à remplir ? s'interrogea Ogda.
-        Tu ne crois pas si bien dire...

Les Guerres Arcaniques Tome 1: La Tempête des IllusionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant