Chapitre trois

3 0 0
                                    

Le chemin du retour sur les cailloux pointus donna à Cardan la curieuse envie de chanter. D'abord, il fredonna d'une voix claire accompagnant parfaitement le chant des oiseaux, puis les paroles s'articulèrent.

Le feu de joie est grand et chaleureux
Tout le monde danse, même les boeufs
La lumière guide ces deux amants égarés
L'un est ménestrel et l'autre envoûtée
Ils ne savent pourtant pas
Que leur foyer est loin là-bas

À travers les ombres, ils s'en furent
Loin de la joie mais ils se rassurent
Pourtant, c'est évident que la noirceur
A pénétré très loin dans leurs coeurs
Et les amants furent désunis pour de bon
Eux qui voulaient juste rentrer à la maison

Pharrah écouta d'une oreille distraite ce chant parlant d'un couple qui succombe à la folie des ténèbres. Elle connaissait cet air, son oncle avait dû le lui chanter pour la mettre en garde des dangers de la Magie Occulte. Aussi, les paroles lui revinrent à l'esprit, comme un lointain souvenir soudainenent déterré. Elle se mit alors à accompagner le jeune homme.

La femme s'en va loin de son aimé
Lui ramène la Mort sur notre réalité
Elle ne désire que détruire et tuer
Qui sera assez courageux pour les arrêter?
Et voilà que survient un aventurier
Sans peur, on l'appelle le Justicier

Et il brava les dangers pour retrouver la femme
Mais il sentit une force peser sur son âme
Et celle-ci se détacha de son corps
Offrant à la femme un semblant d'or
Car oui l'âme était puissante
Et l'aventurier ne revit jamais sa tente

Cette histoire sembla cependant perturber Pharrah qui repensait à son oncle qui, lui aussi, en quelque sorte, avait sucombé à un mauvais côté. L'esprit vagabond, les deux aventuriers revinrent alors à la cité de Vertchamp, alors que le soleil était encore haut dans le ciel, même si quelques nuages le couvrirent de temps en temps. La fraîcheur de novembre vint tout de même leur rappeler que l'hiver arrivait à grands pas.
Pharrah s'avança la première dans la salle du trône, où le roi siégeait. Faisant fi des habituelles formules de politesse auxquelles elle tenait tant, elle planta son regard dans celui du roi, une expression grave apparaissant sur son visage.
- Votre Majesté, nous sommes revenus de la Forêt de Jade et nous avons beaucoup à dire. La tempête n'est en aucun cas naturelle, car nous avons vu une silhouette s'enfuir et la tempête disparaître en même temps. Mais cela n'est rien comparé à ce que nous y avons affronté: des défunts revenus à la vie! Je ne mens pas, votre Majesté, je les ai vus comme je vous vois.
- Je puis témoigner votre Majesté, affirma Cardan, nous avons combattu des créatures provenant des profondeurs terrestres, réanimées par une puissante magie. Et même les animaux les plus pacifiques se sont mis à nous attaquer sans raison aucune.
Le roi sembla réfléchir un moment, restant interdit et observant les deux jeunes gens avec circonspection. Puis, enfin il se leva.
- Si ce que vous dites est vrai, alors cela dépasse mes compétences, je le crains. Le Conseil Royal de Xenastha doit se réunir en urgence afin d'établir un plan.
- Le Conseil Royal? demanda le jeune magicien. Mais que vont-ils décider?
- Ils vont probablememt mettre un groupe sur pied pour localiser et neutraliser celui qui maîtrise cette tempête. Votre témoignage nous sera précieux, mes amis, aussi j'espérais fortement que vous m'accompagniez jusqu'à la Chambre, en Garganie.
- Ce serait avec joie votre Majesté, mais mes professeurs...
- ... Accepteront bien que leur élève se soustraie à ses devoirs un petit instant afin de contribuer au sauvetage du continent tout entier, coupa le monarque avec un large sourire. De plus, tu es celui qui connaisse le mieux la magie de nous trois, donc tu pourras peut-être éclairer nos lanternes sur ce qui fait que les morts se relèvent?
- Je vais encore méditer sur le sujet, je ne crois pas jamais avoir vu ceci.
- Et toi alors? demanda le roi à Pharrah. M'accompagneras-tu?
- Je ne pense pas que votre Majesté requière ma présence. Cardan sera mon porte-parole.
- Je crois que tu te sous-estimes, Pharrah, fille de Taurem. Si tu es capable d'abattre des morts, tu es sans nul doute plus compétente pour protéger « sa Majesté » des dangers que toute la garde royale réunie.
- Je vous l'ai promis, répondit la jeune femme un peu déboussolée par les déclarations de son roi, je mettrai ma lame à votre service jusqu'à ce que je ne puisse plus la tenir.
- A-t-elle enfin un nom? demanda le roi.
- J'y réfléchis encore, avoua Pharrah.
- Alors soit: vous m'accompagnerez tous les deux. Je vais organiser la rencontre, nous partirons dans trois jours. En attendant...
Deux gardes s'approchèrent dans leur armure étincelante et donnèrent chacun une bourse remplie de pièces d'or aux deux aventutriers.
- Voici votre modeste paiement pour avoir rendu service à notre cité et veillé sur sa sécurité.
Pharrah ouvrit la bourse en cuir tanné et compta les pièces brillantes.
- Cent? C'est un paiement bien au-dessus de ce que nous avons fait, avoua-t-elle. Je ne puis accepter autant.
- Disons qu'il y a un petit peu plus pour que tu passes deux nuits supplémentaires à l'auberge de l'Ecu Joyeux, alors. J'ai cru comprendre que tu ne voulais pas retourner à la forge.
Des larmes coulèrent le long des joues de Pharrah, creusant deux sillons humides, scintillant à la lumière des torches et des bougies allumées dans la pièce. La jeune femme se mit à trembler si fort qu'elle perdit l'équilibre et se retrouva à genoux.
- Mon oncle... cet être abject... m'a rejetée quand je lui ai montré mon oeuvre. Il m'a frappée... et humiliée devant Keytaros, articula-t-elle avec beaucoup de mal.
Cardan la regarda avec plein de compassion et de tristesse dans son regard. Il se sentait mal d'avoir taquiné cette femme qui était même rejetée par les siens. Le monarque Linlek s'accroupit alors devant la forgeronne et lui sourit radieusement. Son visage était encore jeune et rempli de malice.
- Peu importe ce qu'a bien pu te dire ton oncle, aucune parole ne saurait t'humilier devant Keytaros, je puis te l'assurer. Ta lame est une pure merveille. Le Dieu de la Forge ne peut t'offrir que sa bénédiction.
Pharrah esquissa un tout petit sourire timide et se releva en remerciant le roi pour sa bonté d'âme et sa générosité. Cardan parut un brin gêné en croisant le regard profond de la jeune femme et toussa pour s'éclaircir la voix.
- J'ignorais qu'il vous avait frappée. Nul membre de la famille ne devrait lever la main sur son sang. Si vous le voulez, repartons ensemble à l'aventure, là où personne ne jugera vos créations!
- Je veux bien, acquiesça-t-elle.
- Fort bien! déclara Linlek en frappant dans ses mains. Je vous revois donc dans trois jours ici! Nous partirons pour un long voyage. Réunissez vos affaires les plus utiles.
Les deux aventuriers de fortune quittèrent la pièce et se séparèrent. Pharrah partit en direction de la taverne en jetant un long coup d'oeil à sa forge, le coeur lourd et chargé.

Les deux nuits semblaient avoir duré une éternité pour Pharrah. Elle avait très peu dormi, se remémorant ses aventures et ses discussions avec Cardan. Puis elle réfléchissait aussi sans arrêt à un nom pour son épée sans grand succès jusqu'à présent. Le poulet qu'elle avait mangé lui avait semblé sans saveur alors que d'habitude elle adorait cela. Mais le troisième jour sonna comme un cadeau pour elle. Elle allait revoir Cardan et repartir à l'aventure. Son coeur battait déjà à tout rompre rien qu'à l'idée de découvrir de nouvelles contrées et faire de nouvelles rencontres. Elle avait soigneusement préparé un gros sac à dos rempli de vivres, de vêtements et de couvertures la veille, l'argent qu'elle avait reçu ayant largement suffi à ses dépenses. Le tavernier lui avait même offert une lanterne à pétrole. Cardan trimbalait toujours sa sacoche de cuir à laquelle il avait jeté un sort et son bâton qui flottait dans son dos. Linlek avait lui aussi préparé un grand sac chargé et le portait sur son dos.
- Allez-vous réellement porter pareil bagage? demanda la jeune femme en écarquillant les yeux. Il n'est pas dans le devoir d'un roi de...
- Il est dans le devoir d'un roi de se salir les mains lorsque son peuple voire plus encore est en danger, demoiselle Pharrah. Et j'ai dit que je n'ai nul besoin de garde autre que la tienne et je compte bien tenir mes propos. Nous partons alors à trois. Allons-y! le chemin est long et le temps court.

Les Guerres Arcaniques Tome 1: La Tempête des IllusionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant