I - Le pétage de plomb

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Vous savez, parfois, la vie ça peut être simple.

Enfin oui, ça peut l'être, je suppose. Disons pour les autres. Car depuis ma plus tendre enfance, j'ai toujours été du genre à me compliquer la tâche.

Mais pourquoi, me direz vous ?

En toute franchise, je n'en ai aucune idée. Peut-être parce qu'une vie trop simple serait synonyme d'ennuis à mes yeux ? Peut-être parce que dans le fond, je suis un peu timbrée ?

Mais dans ce cas, si je suis timbrée, comment devons nous qualifier ceux qui sont officiellement rangés dans la catégorie des « timbrés » ? Quoi donc ? Est-ce que je serais en train de vous embêter avec mes questions ? Je l'espère bien ! Parce que je ne compte pas être la seule à avoir les neurones qui vrillent.

— Caroline, eh oh, ici la Terre ? Est-ce que ça reçoit quelque chose dans cette caboche ?

Un petit coup de coude de ma collègue et le latté qui attendait patiemment (ou pas en fait) la fin de mon égarement se déverse sur le comptoir. En plus du gâchis de produits alimentaires et du sermon que je vais récolter de la part de ma supérieure, je ne peux pas m'empêcher de grimacer de douleur.

La boisson était chaude et elle n'a pas épargné ma pauvre main.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Bon sang Caroline !

Ne vous méprenez pas, le « Bon sang Caroline » n'est pas pour ma main ébouillantée, ni même le comptoir inondé, mais bien pour la perte de bénéfice pour Yvonne, ma patronne un peu détestable sur les bords.

Au risque de briser la vision clichée que vous aviez de moi, je ne bosse pas dans un petit café parce que je n'ai pas réussi à trouver de boulot dans ma branche après l'obtention de mon master en littérature mention très bien, pas plus que je ne bosse en temps partiel pour payer mon appartement, en même temps que j'étudie.

Moi, si je sers des boissons en gueulant les prénoms des clients, c'est uniquement parce qu'en arrivant dans la grande ville rose, j'avais besoin d'un job, peu importe lequel c'était. Redémarrer une vie après un ouragan, c'est toujours difficile.

Alors on est bien obligé d'avoir quelques priorités, et la rentrée d'argent est plus importante que réaliser son rêve professionnel.

— Je me demande pourquoi je te garde, soupire Yvonne.

Une envie de lui répondre que c'est parce qu'elle ne trouverait personne qui accepterait de se faire critiquer comme moi m'attrape. Mais je me retiens de lui dire ce que je pense.

Ici, je suis la plus ancienne, et je ne parle pas que de l'âge. Yvonne est tellement désagréable qu'elle n'a jamais réussi à garder du personnel plus de trois mois. Sauf moi. Mais moi, c'est parce que j'ai besoin d'argent. Les étudiants qui arrivent, innocemment, aussi ont besoin de tune, mais contrairement à moi, ils ont le courage de chercher ailleurs et de dire merde à la sorcière avant de passer la porte.

— Tu devrais te passer la main sous l'eau, me conseille Éloïse ou bien la fameuse collègue qui est en partie responsable de la catastrophe que je viens de faire.

Alors que je m'apprête à répliquer, elle enchaîne :

— Je m'occupe du comptoir, vas-y.

Son sourire, plein de bonté, me redonne un peu d'espoir en la nouvelle génération. Après tout, ils ne sont peut-être pas tous des gamins pourris gâtés et égoïstes. Ceci dit, je parle d'eux, mais à cinq ou six ans près, j'ai le même âge.

Lorsque la porte menant au couloir du personnel se referme derrière moi, je ne peux pas réprimer mon soupir.

Nous sommes en plein dans la période de Noël. Pourtant ni les chansons joyeuses, les illuminations, les gens qui parlent du réveillon ou les enfants qui disent vouloir voir le Père Noël, n'arrivent à me remonter le moral.

Cap ou pas cap ? (En cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant