Prologue : Start the Game

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Back again, have a coccinelle 🐞
(Pardon pour cette intro toute pétée)


En hiver, la nuit tombait toujours plus tôt. Comme un immense drap percé d'étoiles, elle recouvrait la Californie en un rien de temps, et l'air – étouffant en été, à peine rafraichissant le reste du temps – devenait soudain si froid qu'on racontait qu'il pouvait glacer les os à l'intérieur de leurs étaux de chair.

Sur le trottoir, un homme marchait vite. Il était grand, et sans doute avait-il était beau, mais les traits de son visage avaient été usé par la fatigue et le temps. Ses pas le menaient il ne savait où, les uns après les autres, le regard fixé vers le sol, sans qu'on puisse pour autant en manquer la couleur bleue, aussi glaciale que le vent qui faisait valdinguer sa veste contre son corps mince. Un observateur un peu attentif aurait pu remarquer moult détails – légère claudication, hanches tordues vers l'avant, le bord d'un tatouage au niveau des clavicules, une boucle d'oreille en forme d'épée accrochée à son lobe gauche, des cheveux qui avaient dû être bouclés avant d'être abimés par le sel et le sable – mais dans les rues nocturnes de Californie, il n'y avait pas de promeneurs, pas de coureurs et surtout, pas d'observateurs.

Rien que le silence. Un silence de plomb et d'encre qui recouvrait tout d'un opaque coton. Malgré sa proximité, on n'entendait pas la mer et le roulement de ses vagues.

L'homme s'appelait Morgan. C'était un homme comme il y en avait tant d'autre et comme il y en aurait encore beaucoup après. Élevé près de la mer avec deux sœurs cadettes – les seules à avoir survécu aux fausses couches répétitives de leur mère –, il avait passé son enfance à rouler son corps bruni par le soleil dans les vagues et le sable épais de la Floride. Quand il en avait eu l'âge, il avait emménagé de l'autre côté du pays avec le premier et dernier de ses amours, un petit bout de femme qui sentait les gâteaux et la douceur à plein nez. Il avait abandonné sur le bord de l'autoroute ses rêves de cieux infinis et d'horizon marins, comme tant d'autres avant lui avaient jeté les mêmes espoirs sur le bas-côté et les avaient amèrement regrettés.

Morgan n'avait pas de bateau, pas de voile à tendre et d'horizon à atteindre, mais il avait un fils. Un petit enfant de huit ans qui ressemblait trait pour trait à sa mère. Il était beau, comme elle et comme elle, il sentait les gâteaux et la douceur à plein nez.

Morgan aurait désespérément voulu se retrouver en cette petite créature tranquille, mais son fils adoré, aussi docile qu'un chaton ne ressemblait en rien au grand chien galeux qu'il avait été et qui se roulait sur les plages de Floride, la bouche salée et la langue pendante.

Morgan était un homme hanté par les regrets de la famille qu'il avait, sans le vouloir, disloquée, et par les corps trop délicats de sa femme et son fils. Il aurait voulu tout envoyer valser : son travail qu'il avait toujours détesté, ses loisirs idiots et – c'était sans doute le pire – ceux qu'il aurait tant voulu être capable d'aimer. Il avait abandonné un beau matin tout ce qui avait un jour compté pour lui : ses sœurs, sa mer, sa plage et pour quoi ? Un semblant de paix qu'on avait fait miroiter devant ses yeux et auquel il avait été incapable de résister ? Il était la souris qui avait vu le fromage plutôt que le piège, le corbeau affamé qui s'était rué sur ce qu'il ignorait être du poison, le tigre qui avait cru que la vie dans un zoo lui épargnerait les tourments de sa savane.

Il était un homme comme il y en avait eu tant et comme il y en aurait toujours.

Un homme qui fixait chaque matin son corps rendu rugueux par les embruns, détruit par une vie qu'il détestait haïr et par les regrets et la culpabilité qui lui tordait le ventre tous les jours. Le soir, en s'allongeant à côté de son petit bout de femme, après avoir embrassé le front lisse de son fils, il se prenait à rêver d'océans. Immenses, sans limites, sans douceur et odeur de gâteau pour lui rappeler qu'il n'avait vraiment pas de quoi se plaindre. Il imaginait le rire de ses jeunes sœurs, et soudain, il avait à nouveau seize ans, l'odeur des embruns accroché à sa peau brunie et sa cadette collée à ses talons alors qu'ils s'élançaient sur la plage comme deux chiens mal nourris aux hanches un peu tordues.

Chaque matin était une nouvelle déception alors qu'il se réveillait entre les bras rond de celle pour qui, quelques années auparavant, il aurait pourtant vendu son âme. Pourquoi ne pouvait-il pas apprécier cette vie qui lui semblait comme écrite par le plus doué des artistes ? Pourquoi avait-il l'impression de tout rater, malgré tous ses efforts, de ne jamais être vraiment présent alors qu'il soulevait son fils dans les airs ? Que cherchait-il de si important sans jamais réussir à mettre la main dessus ? Morgan était absent de sa propre vie, obnubilé par une chose qu'il ne comprenait pas. La culpabilité brûlante de ne pas réussir à être le mari et le père qu'il avait promis lui détruisant peu à peu la trachée et ses poumons fondaient dans l'étaux de sa cage thoracique.

Morgan marchait, la nuit. Il arpentait les rues sinueuses d'une ville qui lui serait pour toujours étrangère dans l'espoir qu'enfin, il comprenne ce qu'il lui manquait. D'où venait ce manque qui, si douloureusement, lui plissait la poitrine.

Morgan était un homme comme il y en avait eu tant d'autres et comme tant d'autres il y en aurait. Un être humain avec des doutes et des craintes qui lui rongeaient le cœur et qu'il ne pouvait arrêter. Dont il ne pouvait parler. Et comme les autres, Morgan se coucha un soir sans que personne ne se doute que c'était pour la dernière fois.  

Game Over [PJO AU] [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant