Chapitre 4

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Lorsque le ciel fut pourpre, la Mélomane que j'étais lâcha les deux enfants, les posant contre l'arbre derrière elle, pour aller sur la falaise qu'elle pouvait voir de là où elle se trouvait, dépassant les amis de ceux-ci. J'avais besoin d'un peu de calme. J'avais besoin de me poser et d'encaisser la mort de mon vieil ami. Pas de le pleurer, mais bien de l'accepter. Je ne connaissais pas bien le peuple des Eliatropes, affilié au peuple draconique, ne connaissais rien de leur rites et ne connaissais rien de leur deuil... Était-ce comme les nôtres ? J'en doutais. Si ils savaient, Yugo, Adamaï et leurs amis me tourneraient-ils le dos ? Cela, je n'en doutais pas. Un soupir franchit la barrière de mes lèvres. Je m'assis sur le bord, les jambes pendantes dans le vide, le regard rivé à l'horizon.

- Oh Grougal... Je me sens seule... Terriblement seule... Murmurais-je au vent, dans un souffle.

Le dit-vent me caressa doucement la joue, tandis que le ciel devenait de plus en plus noir, comme le dragon décédé... Tout semblait vouloir me rappeler à quel point le dragon avait compté pour moi... Et surtout, qu'il n'était plus.

Il m'avait tant réconfortée, tant protégée des autres, comme de moi-même... Il m'avait nourrie, m'avait soignée, m'avait considérée comme sa petite sœur, pour une raison que je ne comprenais pas encore. Le temps me donnera la réponse, j'en étais persuadée. Un jour, je saurais pourquoi tant d'attachement.

Oui, le décès du dragon me faisait mal. Aujourd'hui encore, je venait de perdre une autre personne chère à mon cœur... Après mes sœurs, c'était le tour de Grougaloragram... Le vide de mon être s'agrandissait de plus belle. C'était certain, je deviendrais folle d'ici peu. Yugo ne pourra malheureusement rien faire pour moi... C'était ahurissant de voir à quel point au pouvait être impuissant face à une situation particulière alors que l'on peut être si inatteignable envers tant d'autres... Pourquoi, je pensais à ça, bon sang ? Un enfant n'a pas à être impliqué là-dedans. J'avais choisi mon destin, après tout. Et il était de mourir.

Ma malédiction me rattrapait, plus forte et plus insistante que jamais... Elle se propageait à la vitesse du temps qu'il me restait. En clair, très peu... En terme de mois, ou peut-être de semaine, combien me restait-il ? Mais une chose était sûre : il me restait moins d'un an...

Toute à ma peine, je n'ai pas vu Evangelyne s'approchant de moi et déposant sa main sur mon épaule délicatement. Je me suis tournée vers elle, sans vraiment comprendre ce qu'elle venait faire ici.

- Viens manger, Sillianne.

- Je n'ai pas très faim...

- Je me doute. Cependant, fais moi confiance : être triste et le ventre vide, n'amène que puissante déprime. Me fit-elle, un sourire compréhensif aux lèvres.

Soupirante, bien qu'un petit sourire me revenait, je me levais pour la suivre vers les autres. Ces aventuriers en herbe étaient vraiment gentils, cela faisait chaud au cœur... Tant d'aventuriers étaient des enflures... Heureusement qu'une poignée se battait pour que la chose ne devienne pas une généralité. Les mains dans les poches de ma veste en cuir protecteur, je marchais dans les pas d'Evangéline, qui semblait ne pas savoir comment aborder les choses en ma présence. Je fus surprise de cet état de fait.

- Je fais si peur que ça ? Demandais-je, un air un peu gênée sur le visage.

- Hein ? Non, non, non ! C'est pas ça, c'est juste que... Voilà, Adamaï nous a raconté un peu son passé avec Grougaloragram... Et il dit que tu n'as pas vieilli depuis...

- Tu veux le secret de ma jeunesse ? Fis-je, un peu déjantée.

Evangéline ne put empêcher un fou rire de la prendre, tandis que je souriais plus franchement. En entendant le rire de leur amie, les autres se tournèrent vers nous, un air surpris sur leurs traits.

- Toi, t'as encore fait une blague vaseuse, de ton crû ?

- Possible, petit dragonnet.

Adamaï me tira la langue de manière immature, tandis que mon sourire ne me lâchait pas. Cela faisait plutôt longtemps que je n'avais pas été avec autant de personnes. Nous étions peut-être que sept, chiffre dérisoire pour certains, mais pour Adamaï et moi, c'était quelque chose de bien inhabituel. Nous nous étions assises avec eux, autour du feu, tandis que les conversations battaient leur plein. Je ne participais pas vraiment, me contentant de les écouter tranquillement, la tête posée sur une de mes mains, un petit sourire subsistant sur mon visage. C'est alors que durant la conversation, ils finirent par se tourner vers le volatile qui suivait Yugo, un Tofu. Celui-ci avait une plume bleue étrange dans sa queue, alors que l'animal était jaune. Elle fut arrachée avant de partir des mains de celui qui la tenait pour s'envoler vers la falaise où je me trouvais tantôt. Se levant d'un bond, nous avons tous suivi la petite bleue avant que celle-ci disparaisse vers le sol.

Un coup me sembla être mise dans l'estomac, me faisant tomber à genoux, alors qu'une silhouette draconienne se dessina dans l'obscurité de la nuit. Gigantesque, Grougaloragram était là, devant nous. Du moins, son esprit...

- Grougal...

"Bonjour... Sillianne, Yugo et Adamai, je vais m'adresser particulièrement à vous. Je n'ai malheureusement pas beaucoup de temps..."

Retenir ses larmes, Sillianne, depuis quand c'est devenu compliqué ? Depuis qu'il est devenu comme un père et qu'il est mort. Faire du sarcasme à l'intérieur de sa propre tête, j'en suis à ce point-là...? Ca craint... J'avais même pas écouté ce qu'il avait dit aux garçons, perdue dans mes pensées. Je ne revins à moi que lorsque mon nom fut prononcé.

"Sillianne, je veux que tu accompagnes les enfants jusqu'à mon dofus. Tu sais où il est."

- Cela fait longtemps... Le gardien devrait me laisser passer, je pense...

Adamaï sentant ma peine peut-être, vint à mes côtés, vite suivi de Yugo.

"Adamaï t'aidera, tu le sais bien. Sillianne, restes forte, s'il te plaît. Tu dois veiller sur eux."

- Tu ne m'en as pas beaucoup laissé le choix, mais je le ferais. Je te dois beaucoup trop pour n'avoir que l'envie de refuser. Je ferais en sorte qu'ils vivent longtemps et heureux. C'est ça, mon accomplissement, non ? Enonçais-je.

"Oui, c'est l'heure. Ton heure."

- Alors pourquoi refuserais-je ? Je te retrouverais, Grougal, je te le promets, je prendrais soin de toi et te hisserais vers le haut, comme tu l'as fait pour moi et Ad'.

"Silly... Quoiqu'il arrive, suis toujours se que ton cœur te dit de faire. Ne succombe pas à ta part d'ombre."

- Je ferais toujours pour le mieux, Grougal. Toujours.

 Je vis dans ses yeux fantomatiques qu'il avait deviné mon choix de mots. Il n'était pas ravi, mais je m'en serais douté, de toute manière. Il dit cependant rien de plus, avant de lentement s'effacer, comme un rêve à l'approche de la fin du sommeil. Je fus triste en le voyant disparaître, mais je pris Adamaï dans mes bras, tandis que ma main s'était posée sur le chapeau de Yugo. Il me regarda, timidement, comme si je lui faisais peur.

- T'en fais pas. Je ne ferais jamais de mal à un enfant.

- Tu n'avais pas l'air très contente, quand tu m'as vu la première fois...

- Peut-être, mais tu n'es pas responsable, ni Adamaï. Le destin est ainsi, a faire des coups foireux, mais on vivra toujours avec. On a pas le choix, non ? Par contre, ne pense pas que je te déteste ou que je ne veux pas être en ta compagnie, d'accord ? Je suis quelqu'un de franc, si j'ai quelque chose à dire, je le dis. Sinon, c'est qu'il n'y a aucun problème.

- D'accord, Sillianne...

- Appelle-moi Silly, si tu veux. Mon prénom est assez long, j'admets. 

On se fit un sourire complice tandis que Adamaï me réconfortait en silence, en restant simplement dans mes bras. Oui il devinait ma peine, et me connaissait mieux que quiconque vivant aujourd'hui. Cependant, il y a des choses qu'il savait que je lui cachais, car il n'était pas prêt à voir la cruauté sempiternelle de mon peuple. Ma malédiction ne s'arrêtera sans doute jamais... Ou alors que je serais morte ou Désaccordée.

La malédiction de la Mélomane [Fic Wakfu]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant