Chapitre 1

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C'était un jour parmi tant d'autres. Le soleil, au dessus de l'île, se reflétait sur la mer, étendue d'eau salée à perte de vue. Si je n'avais pas déjà vu d'autres paysages, je me demanderais s'il existait autre chose que cette eau bleue où se cachait des poissons de milles couleurs... Je soupirais doucement en balançant mes jambes dans le vide que je dominais depuis mon rocher, excroissance d'une falaise, comme un trône régnant sur toute cette terre oubliée. Je venais méditer ici, après un de ces cauchemars récurrents, lorsque j'en ressentais le besoin. En examinant mes mains, je me rendis compte que je n'avais pas vraiment changé. Même cette île avait plus changée que moi... Même Grougaloragram vieillissait, à un rythme tout de même nettement plus lent que grandissait Adamaï...

Combien de temps allais-je encore porter ce fardeau, à devoir vivre après mes crimes ? Oh oui, la haine de soi est une maladie, une tare dont on ne guérit quasiment jamais. C'était mon cas. Grougal avait, une fois de plus, détruit un navire sous sa forme de Kralamoure géant, il y a déjà plus de deux heures avant de retourner dans notre caverne. Il ne tolérait aucune approche humaine de l'île, donc aucune occupation ne pouvait soulager mon ennui devenu permanent. Le dépit ne quittait plus mon âme. Peut-être était-ce ça ma punition, après tout ? L'ennui me tuera peut-être, qui sait ? J'allais devenir folle, à ce rythme...

L'île d'Oma était devenue ma prison, en quelques sortes. Mais où aurais-je aller ? Je ne pouvais pas partir d'ici, au risque de provoquer une catastrophe sans nom... La seule chose que je pouvais faire alors, c'était la méditation de mes erreurs passées. Mille cent quarante-deux années ne m'avait pas permises d'oublier le moindre détail de leurs visages. Pour racheter ma faute ce soir-là, j'avais bien tenté de mettre fin à mes jours en me Désynchronisant complétement. Les autres m'auraient alors achevée, et cette Malédiction aurait enfin pris fin avec ma famille... Cela aurait été terminé pour de bon.

Le dragon sage Grougal avait alors surgi, me faisant le suivre à travers le monde, alors que les miens, les Mélomanes, m'avaient envoyés parcourir le monde, à la recherche de l'être qui m'aiderait à accomplir ma destinée. Un Métronome. Chaque Mélomane s'en voit assigner un à la naissance, au bon vouloir de notre Déesse. Parfois, il fallait des années pour le trouver, car il n'était pas nécessairement né, simplement créé. Mais alors, en mille cent cinquante ans, j'aurais du le trouver, ou mourir avec lui... Et pourtant, j'étais encore là. Grougaloragram m'avait promis de m'aider à le trouver, avant que je ne le détrompe, quelques mois après s'être côtoyés. Je ne voulais pas le trouver. Je lui ferais du mal, sans aucun doute possible. Comme toujours...

Alors, nous nous étions installés ici, avant que Ad' ne nous rejoigne, nourrisson sans parent dix ans plus tôt. Un petit dragon... J'aurais du savoir que c'était bizarre, mais quand je l'ai vu, je n'ai pas eu le cœur de me poser de questions. C'était un être innocent, qui avait besoin d'amour. Je le lui ai donné, comme le ferait une grande sœur.

Non, je ne voulais pas de mon destin, dont je devrais faire partie intégrante. Il n'était pas encore en marche. Il ne le serait jamais. En l'acceptant, ce serait accepter que la mort de mes sœurs était inévitable.

Une énième secousse sismique retentit, me faisant longuement soupirer, fatiguée d'avance. Grougal avait encore dû détruire une des colonnes de pierre qui se suivaient dans la caverne où nous vivions, comme un grand temple depuis longtemps oublié. Je décidais donc d'aller voir ce qu'il se passait, pour que je ne puisse plus avoir la tranquillité de me morfondre. D'un bond, je me mis debout avant de sauter presque directement dans l'entrée de la caverne située dans la paroi près de moi. Je descendis encore quelques mètres sur l'espèce de tobogan de lierre qui suivait le trou, avant d'arriver alors qu'un nouveau fracas souleva de la poussière, dans l'antre du dragon. Je l'entendis alors, proférant des menaces contre un ennemi que je ne pouvais discerner à la vue, dans l'imposant nuage sableux.

On avait donc de la compagnie ? Ne faisant aucun bruit, j'enclenchais mon casque, me coupant de toute déconcentration alentour. Ce dernier, pourvu de deux excroissances, s'illumina du même bleu que mes yeux, alors que le rythme s'écoulait dans mes veines, accélérant mon palpitant drastiquement. Grougal me sentit arriver. Alors, lorsque je pris appui sur la queue de sa forme draconique, il me lança droit dans les airs, au dessus du groupe que je pus enfin apercevoir. Quatre personnes, dont l'une armée d'une épée. Il possédait l'aura la plus menaçante de toutes les autres. Effectuant une vrille dans l'air pour prendre de la vitesse, je me jetais sur l'épéiste qui tenta de parer mon attaque. En vain, il se retrouva désarmé grâce à une nouvelle torsade que j'effectuais avec mes membres, avant que je ne retombe souplement sur l'épaule du dragon qui sembla soudain se calmer. La poussière avec ma charge s'était dissipée, me permettant d'identifier le Iop que je venais de désarmer. Une Crâ lui porta assistance en lui servant d'appui. J'allais charger une seconde fois quand Grougal me retint gentiment.

- Tu possédais un Shushu, jeune Iop... Voilà pourquoi je ne pouvais voir vos âmes, jeunes aventuriers. Veuillez pardonner mon emportement... S'excusa alors le dragon.

J'éteignis alors mon casque, abasourdie. Je me tournais vers la personne la plus sage que je connaisse, encore sous le choc.

- Attends... T'es en train de me dire qu'on les a attaqués pour rien ?

- Excuse moi de t'avoir inquiétée pour rien, Sillianne...

- Tout ça pour une épée... Je vous jure... Tu m'as dérangée dans ma méditation pour des prunes...

Ce fut à ce moment-là où j'entendis un bruit de course, presque dans mon dos, avant qu'une voix enfantine ne parle, sans qu'il ne s'agisse de Adamaï qui se trouvait pourtant pas loin.

- Les amis ! Fit cette voix, attirant l'attention de tous.

Je me tournais donc sur le qui-vive, voyant Adamaï débarquer à son tour. Le regard marron de cet Eliatrop croisa le mien. Je sentis alors une chaine sortir de mon cœur pour se fixer au sien, à celui de cet enfant de dix ans, devant le regard ébahi d'Adamaï. La chaine disparut alors, scellant mon destin. Je serrais les poings en réorganisant tout ce que je savais, comme un puzzle où la dernière pièce me faisant tout comprendre. Pour une fois, ce ne fut pas le dépit qui étreignait mon cœur, mais bien de la peur et de la rancune.

- Tu m'as piégée, Grougaloragram !

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Alors, comment vous trouvez cette réécriture, jusqu'ici, pour les anciens ? Et pour les nouveaux, comment trouvez-vous cette histoire ? 

La malédiction de la Mélomane [Fic Wakfu]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant