Foutue écossaise (1) Rencontre

33 4 0
                                    

Plus que quelques mètres. J'avance rapidement sur le sentier, écartant les branches sèches sur mon passage d'une main et protégeant mon appareil photo de l'autre. Mon Nikon m'a coûté un bras et il est hors de question que je le foute en l'air pour Morgan.

Mes chaussures de randonnée écrasent la bruyère séchée encore recouverte d'une fine couche de neige. J'ai grimpé suffisamment vite pour atteindre les flancs de la montagne et même si j'ai des aptitudes physiques plus que satisfaisantes, je souffle un peu dans l'air froid matinal. La récompense n'est pas loin. Le col est là, à portée de main. Jack ainsi que Morgan me remercieront et ma dette sera effacée. Ne jamais avoir d'arriérés avec les potes. Ils profitent de vous honteusement après.

Ça y est. C'est le col et ...

Waouh.

J'ai beau adorer mon pays et détester cette putain de région, bon sang que c'est beau. Sans réfléchir je commence à mitrailler le panorama à presque trois cent soixante degrés. Je n'ai que peu de temps. La lumière du soleil levant n'a cet éclat feutré quasi-miraculeux que pendant quelques minutes et Liam m'attend dans la voiture.

J'aurais voulu qu'il voit cela : la terre écossaise revêtue de poudre blanche brille sous les feux timides du soleil. Le Mont Schielhallion, qui veut intimider le promeneur de son imposante masse brune, mais le pire, ou le meilleur, c'est cette immensité vide. La lande. À perte de vue. Étouffante de solitude et de liberté. C'est un moment terrible où je me sens chez moi, dans mon pays, tout en étant écrasé par cette nature si puissante.

Le moment magique passe. La lumière, devenue banale, ne m'inspire plus. Baissant mon appareil, je regarde directement une Écosse que je n'ai pas revue depuis dix ans. J'aperçois au loin le mince filet grisâtre de la route empruntée pour venir et ma voiture de location sagement garée sur le bas-côté n'est plus qu'un ridicule point bleu isolé.

Plus à l'ouest, je distingue les baraques sombres, agglutinées les unes contre les autres, du village de Innerhadden. Lieu où je ne mettrais plus les pieds même si mes potes me le demandent à genoux. Je me souviens encore avoir grimpé dans le coin avec les camarades d'école.

Je me rappelle de ces jours où on estimait que suivre les discussions de Melle Pinguist sur l'histoire écossaise ou les tables de multiplication, étaient nettement moins passionnant que d'aller pêcher dans la Lleathan à mains nues ou que de faire la course dans la lande. Je rentrais de nos escapades, ivre des odeurs de bruyère et couvert de poussière, refusant de me cacher, je carrais les épaules et relevais la tête en claquant la porte de la maison. Je subissais sans broncher les punitions de plus en plus violentes de mon père. Chaque coup de ceinture donné par le vieil homme imbibé de whisky me faisait compter les jours qui me séparaient de la liberté. Je secoue la tête pour écarter ces pénibles souvenirs et respire profondément l'air frais comme pour me purifier.

Je suis certain d'avoir réussi à capter les images que Jack m'a commandées. Il veut vendre à Morgan l'idée d'un trek dans notre pays et m'a débauché de ma tranquillité londonienne pour que je lui fasse parvenir des clichés de notre Écosse natale. Il m'a filé un itinéraire à suivre, tandis que ma sœur Cassie, elle, m'a refilé son fils, Liam, sur les bras. Je suis chargé par mon aînée de faire découvrir à son adolescent rebelle notre "héritage familial". Mioche que j'ai laissé dans la bagnole car il dormait et ne voulait pas bouger ses fesses de la banquette arrière de la jeep. Bon ladite caisse est tombée en panne d'essence et ça m'arrange un peu qu'il reste dedans jusqu'à l'arrivée du dépanneur à qui j'ai laissé un message. En espérant que la jolie voix de la secrétaire sur le répondeur transmette le message à son patron, et vite !

💢 𝕊𝕒𝕟𝕤 𝕒𝕥𝕥𝕒𝕔𝕙𝕖𝕤 (𝘯𝘰𝘶𝘷𝘦𝘭𝘭𝘦𝘴)💢Où les histoires vivent. Découvrez maintenant