Derrière le fait divers - 2 - Les sources de la violence

39 10 9
                                    

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.


Julien Cousin

"Les amants de Paris couchent sur ma chanson

A Paris les amants sont vraiment sans façon

Les refrains que j'leur dis sont plus beaux qu'les beaux jours" (1)

J'éteins la radio où la voix éraillée de la môme Piaf reprend le refrain des "Amants de Paris". Une fois de plus, je m'assois en face de mon interlocutrice. Mademoiselle Line vient d'arriver dans ma petite chambre et, comme à son habitude, me gratifie d'un sourire amical. Sur la réserve, je l'observe chercher la bouteille que nous partageons à chaque "entretien", en remplir deux petits verres avant d'en pousser un vers moi.

– Vous êtes prêt, aujourd'hui, Julien ?

– Euh, je crois oui.

Je crois avoir expulsé le pire la semaine dernière. Que peut-elle me forcer à avouer de plus compliqué que l'instant où j'ai tué ? La gamine — ben oui, pour moi, c'est une gamine : elle a à peine vingt ans - s'installe aussi confortablement que possible sur une des deux chaises qui meublent la pièce et pose ses coudes sur la table.

– Alors, Julien, racontez-moi le début de cette histoire, s'il vous plaît. Vous avez voulu me choquer la semaine dernière avec le récit sanglant de la mort d'Amandine Drouet, mais je vous l'ai déjà dit : ce qui m'intéresse, c'est de comprendre.

Têtue, la demoiselle. J'ignore ce qu'elle recherche, mais tant qu'elle n'aura pas la réponse à ses questions, elle ne me fichera pas la paix. De toute façon, je n'ai rien à perdre. Elle occupe un peu de mon temps. Les journées sont longues à mon âge...

Je soupire, ne sachant par où commencer, puis ferme les yeux et laisse les souvenirs affluer. Douloureux. Piquants. Je remonte plus loin. À la source. Elle apparaît devant mes yeux, comme au premier jour.

– Je me souviens du jour où je l'ai rencontrée. C'était en septembre 1882, lors de mon premier jour de travail dans cette grande boucherie parisienne, rue de Sèvres. J'avais 28 ans. Je n'étais certes plus un gamin mais je venais de la campagne. Sainte-Enimie en Lozère, vous connaissez ?

La petite brunette semble étonnée de ma question. Je crois que je cherche juste à gagner du temps.

— Non. J'en ai entendu parlé, c'est tout.

— C'est là que j'ai grandi et fait mon apprentissage de garçon boucher, chez mon oncle. Un joli village, mais petit. Et j'avais envie de plus. Alors, comme beaucoup d'autres avant moi, j'ai voulu tenter ma chance en montant à Paris. Je me sentais à la fois très excité de cette nouvelle vie et très inquiet de tous ces codes de la grande ville que je ne connaissais pas. Même si j'avais presque quinze ans d'expérience, travailler pour la première fois dans ce grand établissement parisien me troublait un peu. Il y avait à l'époque sept garçons bouchers, trois caissières et les patrons. C'était beaucoup. Ils avaient une belle clientèle. Avant de pousser la porte à six heures du matin, je me souviens avoir lissé ma moustache et vérifié l'aplomb de mon veston. Ce n'est pas parce qu'on est garçon boucher qu'on n'a pas une certaine fierté. Au départ, tout s'est bien passé, les autres garçons étaient des campagnards, comme moi, embauchés dans l'année pour la plupart, puis les caissières sont arrivées. Elles étaient trois et Amandine était leur patronne. C'était une dame, une vraie dame, comme je n'en avais jamais vu dans mon village. Je me rappelle avoir bégayé quand on nous a présentés. Elle, elle était très à l'aise. Elle m'a évalué un bon moment, comme j'avais déjà vu mon oncle le faire sur une belle bête, une de celles dont on est prêt à mettre le prix, et puis elle m'a souri.. Jamais une dame ne m'avait fixé ainsi. J'ai vaincu ma timidité et lui ai parlé un peu à la pause méridienne, en essayant de gommer mon accent campagnard. Des banalités seulement. J'étais un peu niais.

💢 𝕊𝕒𝕟𝕤 𝕒𝕥𝕥𝕒𝕔𝕙𝕖𝕤 (𝘯𝘰𝘶𝘷𝘦𝘭𝘭𝘦𝘴)💢Où les histoires vivent. Découvrez maintenant