Reviens-moi

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Cinq mois. Vingt-et-un jours et trente minutes qu'il a franchi cette porte.

Je m'apprête à partir au boulot ; en mode automate comme tous les matins depuis ce jour pluvieux d'avril.

Je fais une pause devant cette photo maudite. Le scotch qui la barre défigure un peu notre bonheur passé, mais j'ai besoin chaque jour avant d'affronter la routine vide de ma journée, de contempler son sourire discret, de me rassurer avec la force dont Cam m'étreint. La photo de notre bonheur.

Il existait. Il reviendra.

Lorsqu'il est parti, j'ai tout détruit. La table de notre dernier petit déjeuner. Ainsi que les preuves de ses derniers gestes hypocrites envers moi. Ces premières victimes, je les ai réduites en morceaux de la même façon que Cam venait d'exploser mon cœur en mille éclats de verre.

Le massacre s'est poursuivi dans la chambre, chaque objet que nous avions choisi ensemble a fait les frais de ma colère, de ma détestation, seule réponse possible à sa fuite.

Tu n'es qu'un lâche.

Crachées à la suite de sa froide invitation à quitter cet appartement que je considérais comme le nôtre, mes dernières paroles, ont résonné dans ma tête à chaque cadre brisé, à chaque DVD disloqué dans un bruit sec, à chaque livre dont les pages arrachées témoignaient de ma fureur. Je refusais de garder aucun de ses présents.

Torse nu, en nage, au milieu du carnage qu'était devenu notre chambre, je soufflai de rage. Je n'étais plus moi. Cam m'avait transformé par son départ. Le jeune médecin rieur et insouciant a disparu remplacé par un homme répandant sa souffrance comme un animal blessé.

Puis il y a eu ce flash.

Cet instant où j'ai aperçu notre lit. L'empreinte de ton corps est encore présente sur nos draps, tes lunettes de lecture sont abandonnées sur ta table de nuit.

Et j'ai pleuré.

Je me suis effondré ; me recroquevillant sur le sol, la tête entre mes mains ; je t'ai pleuré.

Depuis la mort de ma mère, j'avais quinze ans, aucun événement ne m'avait arraché de larmes. Rien n'était important depuis elle.

Sauf toi. Toi, qui ne croyait pas en nous. Toi qui venait de claquer la porte sur notre amour.

La rage est revenue de plus belle et j'ai pris le temps de déchirer méthodiquement les photos, chaque instant de bonheur, chaque preuve de l'amour que tu me refusais, je l'ai déchirée. Espérant te détruire en même temps en moi.

C'était il y a presque six mois. J'ai racheté une table. J'ai remis en place nos livres. J'ai scotché les photos. Je dors seul sur le canapé du salon.

Fermant doucement la porte d'entrée, je pars au travail. Pour une énième journée sans Camille.

— — —

Je me réveille en sursaut. Le rêve était trop réel. Je ressens encore la peau lisse du torse de Cam dans mon dos, je respire son parfum alors que sa voix rauque chuchotent mon prénom d'un timbre ruisselant de plaisir.

Je refuse d'ouvrir les yeux. Prolonger les sensations quelques secondes de plus est devenue une habitude.

Puis la nuit silencieuse reprend ses droits et je remonte la couverture sur mes épaules.

Le tee-shirt devenu trop large de Cam ne suffit plus, le froid de septembre a succédé au printemps de son départ et à l'été de son mutisme.

L'écran de mon téléphone scintille dans l'obscurité.

💢 𝕊𝕒𝕟𝕤 𝕒𝕥𝕥𝕒𝕔𝕙𝕖𝕤 (𝘯𝘰𝘶𝘷𝘦𝘭𝘭𝘦𝘴)💢Où les histoires vivent. Découvrez maintenant