Des bougies

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À l'aube, le Soleil se leva pour éclairer le ciel entier d'une lumière rose et étincelante. Durant quelques minutes, les rues de Paris avaient un goût de paradis et comme il était tôt, il n'y avait pas le moindre bruit dans la capitale.

Mais elle avait les pieds sur terre et bien qu'en apparence ce ne fut guère le cas, elle avait conscience que ce n'était qu'une illusion, qu'un leurre, et que la réalité était tout autre.

La bougie qu'elle avait allumée la veille, après l'aurore et avant de tomber dans les bras de Morphée, s'était éteinte. Une bougie bon marché, sans odeur particulière et dont elle avait mis feu à la mèche pour prier alors qu'il n'y avait plus d'espoir. Il s'agissait de la dixième qu'elle avait allumée en son honneur, ou de la onzième, elle ne savait pas. Ses prières n'étaient pas vouées à être exaucées mais elle refusait de croire que les ténèbres puissent être encore plus sombres. Cette unique lumière fébrile pouvant s'éteindre au premier coup de vent ou mettre feu à la maison tout entière par un geste imprudent, était une façon de lutter contre l'obscurité éternelle dans laquelle elle refusait de plonger.

12:00

À midi, le Soleil passa au zénith, le ciel de Paris fut baigné par un océan de lueurs jaunes. Il y avait du bruit, beaucoup de bruit. En ouvrant la fenêtre, elle entendit les klaxonnes des voitures et les discussions des nombreux passants; ce fut assourdissant. Alors elle referma la fenêtre.
Elle se retourna en direction de la bougie, éteinte. Dans un élan de précipitation, elle prit une allumette pour embraser la flamme d'une nouvelle mèche; celle-ci avait été entièrement consumée. Elle la posa sur la cheminée dans laquelle elle n'avait pas mis de bûche depuis des mois et s'assit près de celle-ci, dans le silence. Elle resta pensive durant tout le début de l'après-midi, le regard dirigé vers le sol, à fixer le parquet de bois grinçant sur lequel elle marchait tous les jours depuis quinze ans. Il n'y avait pas le moindre bruit pour perturber ses pensées et ses prières, du moins pas avant que sonnent seize heures.

16:00

Le téléphone sonna, ce qui l'obligea à se lever du fauteuil. Avant de répondre à l'appel, elle sentit les battements de son cœur s'accélérer; elle avait un mauvais pressentiment. Pourtant, il s'agissait d'une journée radieuse et si la situation le lui avait permis, elle serait volontiers sortie pour aller se promener dans un des parcs de la métropole. Sa main se posa sur le téléphone, elle le décrocha. Tout à coup, elle s'effondra. Son cœur se brisa et ce fut le bruit le plus fort qui résonna à Paris ce jour-là. Pour la première fois, elle était mise en face du fait accompli et les illusions se dissipèrent pour laisser place à une unique vérité qu'elle devait accepter. Elle se tourna vers la bougie, éteinte, bien plus tôt qu'elle ne l'aurait dû l'être. Ce fut à ce moment précis qu'elle comprit que tout était terminé, qu'il n'y avait plus d'espoir et que continuer de croire causerait encore plus de souffrance. La lumière du Soleil éclairait toute la pièce mais elle aurait voulu qu'un orage s'abatte sur Paris pour accompagner sa colère. Elle aurait trouvé dans la pluie une certaine sérénité qui aurait adouci ses peurs et ses angoisses encore plus criantes à l'heure actuelle. Elle voulait se cacher. De quoi ? Elle ne savait pas, mais elle avait besoin de se recroqueviller dans une carapace le temps de quelques instants pour ne jamais en sortir. Elle ressentit le besoin d'être protégée sans pour autant que l'ombre d'une menace particulière fasse son apparition dans la salle sans obscurité.

23:30

Lorsque le soir vînt, elle ne ralluma pas de bougie et dans un élan de colère, elle les jeta toutes, une à une, par terre. Elle regagna alors son lit pour se faufiler dans ses draps frais, trop frais, et éteignit la lampe de chevet. Ce fut à cet instant qu'il n'y eut plus aucune lumière dans l'enceinte de la maison. Paris fut mise sous silence et ce fut la première fois que les ténèbres s'emparèrent d'elle. Alors elle ferma les yeux, et il n'y eut aucune différence. Elle trouva dans le silence un certain réconfort et ce fut comme une berceuse qui l'aida à s'endormir plus rapidement qu'à son habitude. Elle tomba à nouveau dans les bras de Morphée sans se soucier de rien car le pire s'était déjà produit. Son cœur fut allégé de toute inquiétude mais alourdi par une peine éternelle.

Les échos du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant