La pluie de mercredi

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Le corps réchauffé par la couverture que ma grand-mère m'avait tricotée, j'ai le regard figé sur cette fenêtre. J'observe les gouttes et m'amuse avec elle, en me demandant laquelle finira par remporter la course que j'ai imaginée. Je faisais souvent cela étant enfant, à l'arrière de la voiture de mon père, quand on partait pour une semaine à la mer.

La pluie continue de tomber, je pense à toi. Les jours pluvieux me rendent souvent morose mais je ne verse pas la moindre larme, l'orage le fait pour moi. Je me souviens lorsqu'il avait plu des cordes ce jour-là, dans ton atelier, on était resté peindre toute l'après-midi comme on le faisait chaque mercredi. J'avais réalisé ce que j'avais avant de te perdre, je n'ai pas eu à ouvrir les yeux au moment du deuil. Je les ai même gardés fermés, et j'ai rêvé, j'ai rêvé pendant des jours entiers que tu étais à mes côtés. Tu étais dans tous mes songes, alors je dormais à longueur de temps. Des deux mondes tu n'étais plus que d'un alors j'ai tout fait pour être en harmonie avec toi. Mais cette solution n'était que temporaire car quand tu as complètement disparu, je me suis retrouvée seule, plongée dans de terribles cauchemars. Ils ne m'ont jamais quittés, j'étais perdue au milieu de ceux-ci nuits et jours, ils étaient devenus ma nouvelle réalité.

Un autre jour où la pluie était torrentielle au milieu d'un été à la chaleur écrasante, on a discuté dans ton atelier. On a dessiné sur une fresque les dessins que tu faisais au coin de tes cahiers lorsque tu étais encore à l'école. Tu avais mis la radio et on chantait les chansons rock que tu écoutais adolescente. Tu as ris et ce fut le soleil de cette après-midi pluvieuse.

Ce sont dans ces moments là que la pluie me semble réconfortante, car elle me rappelle tout ce que j'ai vécu avec toi. Tu m'as tant appris et j'aimerais pouvoir en apprendre encore davantage de ta part.

Mais la pluie fut également présente le jour où on a planté l'olivier dans ton jardin pour te rendre hommage. Je l'ai regardé et ce fut la seule fois où j'ai accompagné le ciel dans ses pleurs, car le soleil ne se cachait plus derrière un de tes sourires. Ce fut la première et dernière fois que j'allais chez toi, parce qu'on avait voulu aller peindre maintes et maintes fois dans ton jardin, mais la pluie était toujours au rendez-vous. On avait appelé cela la pluie du mercredi, et on riait parce qu'elle arrivait toujours au moment où on ne l'attendait pas, jusqu'à ce que cette plaisanterie vieillisse comme un mauvais vin et qu'on commence à pleurer parce qu'elle pointait encore une fois le bout de son nez un peu trop tôt. Ce fut à ce moment-ci que je vis la pluie du mercredi sous un autre jour, j'ai commencé à la haïr parce qu'elle était injuste. Elle arrivait de plus en plus souvent au moment où je ne le voulais pas; j'ai commencé à être triste, en colère, et à pleurer comme une enfant.

Ma main posée sur la vitre, mon corps se refroidit. J'ai le regard figé sur la main avec laquelle j'ai peint mes tableaux dans ton atelier. Aucune goutte n'a gagné la course, elles se sont toutes séparées en deux pour poursuivre une autre route. L'orage continue de gronder mais la foudre ne me réconforte plus, je ne suis plus qu'apeurée par les éclairs; effrayée à l'idée qu'ils pourraient frapper n'importe qui, n'importe quand.

Les échos du silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant