Chapitre 4 : L'agneau qui admirait les loups.

107 12 22
                                    


Kenny te traîne dans les rues depuis un quart d'heure, toujours accompagné de l'autre garçon très peu bavard. Son teint blafard et ses yeux cernés te font de plus en plus impasse à toute conversation. Néanmoins il semble être sorti d'une longue passe, comme s'il reprenait des forces après des années de malnutrition. 

Tu tentes d'engager une conversation, après être passée dans une ruelle étroite, dégageant sur une rue plus vaste et éclairée :

" Alors, Livaï, toi aussi tu te sors de quelque chose de... "

" Tch, la ferme - Te coupe-t-il, forçant le pas pour te dépasser. - Tu m'ralentis. "

Sa prise de parole sauvage et brutale te rappelle une fois de plus que tu n'es plus à la surface. C'est vrai, dans les ténèbres, on est souvent peu bavard, et pas toujours de bonne humeur. Il faut vraiment que tu t'habitues à ça. Mais au moins, ici, on ne sourit pas avec hypocrisie.

Ton tuteur accoste un homme, devant une maisonnette, et lui passe quelques billets avant de vous faire entrer.

 Le porche est fleuri de cendriers faussement anciens, remplis de restes noircit de cigares fiévreux. La porte elle aussi, a son lot d'excentricités : la poignée est taillée en forme d'une bête dont tu ne connais le nom et la peinture écaillée sur le battant, reflète sombrement la lumière de la bougie qu'allume difficilement Kenny. 

Une fois la porte ouverte, tu débouches sur une grande pièce à ta droite, certainement une sorte de salon. Et une chambre à ta gauche. D'ailleurs, Livaï court s'y réfugier en silence dès que tu as le dos tourné. Il attrape une pomme sur le rebord d'un meuble et la croque tout en s'asseyant dans un coin. Tu le fixes un instant, observant les mèches tombantes du garçon se morfondre dans le noir. Tu arrêtes brusquement de le regarder lorsque son regard croise le tiens et qu'il souffle d'agacement.

Tu retombes alors devant Kenny, son imposante silhouette te gobant toute entière, tu lui demandes en jouant avec tes mains, timidement, comment tout le reste se passerait. En réponse, après un bref soupir, il baragouine :

" Bah, j'pense que j'vais te garder un peu, que tu puisses pouvoir te battre, tout ça tout ça. Demain je vous entraînerai, mais pour ce qui est de maintenant, j'vais vous laisser - Il ouvre la bouche et imite une bouteille se décapsulant - j'vais boire un coup. "

Il remet en place son chapeau et déambule dans le couloir, mais Livaï surgit alors, trognon à la main. 

" Tu vas encore boire ? Ivrogne. - Il lui lance son trognon dessus puis croise à nouveau ton regard et repart dans la chambre - Tch... "

L'homme lui jette un coup d'œil furtif avant de claquer la porte en partant, disant pour conclure cette discussion :

" Bon, et ne faites pas n'importe quoi. Pas de baston tant que j'suis pas là. "

Sur-ce, il verrouille la porte et part les mains dans les poches. Tu te retrouves donc seule, avec non loin de toi ce garçon associable et borné qui semble te fixer du regard depuis un instant. Lui adressant un signe du regard, il ne te répond seulement que par :

" Quoi ? C'est quoi ton problème ? "

Le plancher grince sous ses jambes, il se lève rudement pour te tourner le dos et se met en tête de laver un couteau sanglant, encré au fond de sa poche. Evitant toute conversation, il étire son bras pour laper la lame d'un mouchoir en soie le plus rigoureusement possible. Pourtant, ta curiosité est plus forte que tout et tu t'approches de lui, scrutant avec attention ses actions lui paraissant si naturelles. 

" Tu fais ça de- "

Le garçon te coupe subitement, baissant sa lame le temps de t'engueuler :

" Ecoute, toi, - Il fait tourner le couteau dans ses mains - j'ai jamais dit que j'voulais te parler. "

Tu protestes :

" Mais pourtant tu me réponds là ! "

" A défaut de t'ignorer... "

" Mais tu pourrais très bien m'ignorer ! "

Livaï se retourne vers une fenêtre bariolée, dont quelques faisceaux de lumière s'émane difficilement du rebord. Il expose son arme hors de la pénombre et gratte le sang séché à son bout. Tu lui attrapes l'épaule pour le faire sortir de son soudain mutisme. D'un coup, d'une rapidité surprenante, il te fait basculer au sol et te passe son couteau sous la gorge.

" Tu vois - reprend-t-il amèrement - tu ne me laisses toujours pas en paix. Même si je t'ignore. T'es presque pire qu'un cabot !  "

Il vient t'agripper tes guenilles et te relève vivement, un instant, ton regard croise le sien. Quel yeux peuvent-ils paraître plus animal que ceux-là ? Aucun, certainement...Et pourtant, tu ressens à son égard, une terrible admiration. L'admiration d'une bête qui est née dans un monde d'ombre, d'une bête à un corps d'Homme qui a choisie de se lever et d'apprendre à se défendre dans ce monde brut. Il est devenu une chose qui pourrait piétiner ton âme innocente, la réduire en cendre d'un souffle, l'écraser d'un seul coup à la seule force de sa volonté. Et toi, en voyant ses prunelles, tout ce qu'il te vient à l'esprit est " Je veux être comme lui. "

Alors qu'il se relève péniblement, peut-être prêt à quitter la pièce ou bien alors à en finir avec toi, tu lui accroches le bras et lui arraches son couteau des mains. La lame pointue te lacère un instant la paume, en dégageant un filet de sang, mais ce baptême non vain te pousse enfin à lui dire ton ressentiment :

" Livaï, apprends-moi. Apprends-moi à être aussi forte que toi ! "

Le garçon, surprit, fait un pas vers toi et flanque son pied sur ta figure, te relevant le visage pour apercevoir la détermination dans tes yeux.

" Et ça fait quoi si je dis non ? "

" Je persisterai, je ne te lâcherai pas ! - Tu arbores un de ces bons vieux sourire de satisfaction. - Alors ? "

Livaï lance un de ses "Tch" habituels avant de reposer son pied sur le plancher, ses yeux ne se tournent pas des tiens et il finit par poser son regard sur le couteau envoyé valsé au loin. Un instant plus tard, sa mâchoire se contracte et un semblant de sourire lui décore les lèvres, alors qu'il va chercher son arme il conclut :

"  Plus vite tu apprendras à te défendre, plus tôt tu me quitteras. Donc, c'est d'accord, mais avant... - Il pointe sa lame vers ton visage - lave toi et efface cet air idiot de ton visage ! Et surtout, ne crois pas aux miracles, tu seras forte, mais jamais plus que moi ! "

Alors, dans la pénombre, il t'envoie une chemise à lui trouvée sur le dossier d'une chaise et son ton n'est plus acerbe mais catégorique :

" Prends une douche, habille-toi, puis reviens me voir ! Kenny ne rentrera pas avant ce soir, alors j'vais t'entraîner jusqu'à son retour. - Il se passe la main dans les cheveux - et si tu oses changer ne serait-ce qu'un peu le programme, j'te fais la peau ! "

Sur-ce, il te montre où se trouve la salle d'eau, et te laisse seule avec une chemise et des braies. Ton cœur palpite d'impatiente, tu vas pouvoir survivre, et peut-être pouvoir gagner la surface grâce à cela ! L'espérance de ne plus être qu'un animal sous le joug du chasseur te comble d'espoir, aujourd'hui, c'est toi qui as faim ! 




Livaï X Reader " Dans les ténèbres ".Où les histoires vivent. Découvrez maintenant